Le mouvement #papauqam contre la diversité des idées?

Par: Annie-Ève Collin

 Un texte paru dans Urbania révèle que Stéphanie Roussel et Cato Fortin, instigatrices du mouvement #papauqam, veulent que ce qu’elles appellent le travail du sexe soit discuté socialement. Seulement, il y a des raisons de soupçonner qu’elles veulent qu’on en discute en endossant une orientation idéologique en particulier : la leur.


Premièrement, Cato Fortin a invité l’UQAM à contacter l’organisme Stella pour discuter, mais seulement cet organisme-là. C’est révélateur car le discours de Stella est UN discours sur la prostitution ; il en existe d’autres. Si on doit parler de prostitution à l’université, ça devrait être en laissant la place à une diversité de positions et d’arguments, y compris ceux d’organismes abolitionnistes de l’exploitation sexuelle comme la CLES (Concertation des Luttes contre l’Exploitation Sexuelle).

 

D’ailleurs, Cato Fortin revendique que celles qu’elle appelle les travailleuses du sexe soient les premières à qui on donne la parole au sujet de leur activité. Or je tiens à signaler que les féministes abolitionnistes de l’exploitation sexuelle sont souvent elles-mêmes des survivantes de l’exploitation sexuelle : leur donner la parole, c’est donner la parole aux principales intéressées.

 

Briser les tabous sur la prostitution, mais encourager les tabous sur Mathieu Bock-Côté


Deuxièmement, les instigatrices du mouvement #papauqam sont signataires d’une lettre qui, suite à la publication par l'Association des libraires du Québec (ALQ) d'une liste de suggestion de lectures, celle de François Legault, réclamait que l'ALQ ne fasse pas la promotion de certains livres se trouvant sur cette liste, notamment L’empire du politiquement correct de Mathieu Bock-Côté. Cette lettre ne parlait d’ailleurs pas du tout du contenu du livre, dont on se demande si les signataires l'avaient lu. Plutôt que d’opposer des réponses aux arguments de Mathieu Bock-Côté, les signataires réclamaient qu’on évite de promouvoir son livre.

 

Ils reprochaient aussi à François Legault d’avoir promu des livres qui vont dans le sens de son idéologie : sans doute que c’est le cas, mais d’une part, ça n’a rien d’illégitime, d’autre part, c’est aussi ce que font Roussel et Fortin avec leur mouvement #papauqam : elles promeuvent leur idéologie. Elles demandent aussi à l'UQAM, et même à l'ensemble de la société, de promouvoir leur idéologie. Est-ce que promouvoir des orientations idéologiques serait légitime seulement quand ce sont celles que ces militantes approuvent?

 

Le prix Nelly Arcan


Fortin et Roussel n’ont apporté aucune preuve que l’UQAM exclut ou sanctionne les étudiantes qui, outre leurs activités académiques, s’adonnent à la prostitution ou à la pornographie. L’UQAM a refusé d’être impliquée dans des photos, mais n’a rien fait pour empêcher ses étudiants ou étudiantes de publier des photos érotiques de leur personne qui n’impliquent justement que leur propre personne.

 

D’ailleurs, les instigatrices du mouvement #papauqam mentionnent elles-mêmes que l’UQAM offre un prix Nelly Arcan : tout le monde sait que Nelly Arcan s’est adonnée à la prostitution, et l’UQAM n’hésite pas à lui faire honneur. Est-ce que cela ne jette pas le doute sur leur prétention que cette université méprise celles qu’elles appellent des travailleuses du sexe?

 

D’ailleurs, le discours de Nelly Arcan sur la prostitution ne va pas du tout dans le sens de ces militantes, qui présentent le « travail du sexe » comme émancipateur pour les femmes. Est-ce qu’elles en ont conscience? Est-ce que leur accusation de « putophobie » tomberait sur une personne qui endosserait, comme Nelly Arcan, un discours dénonçant l’exploitation sexuelle, comme c’est le cas des militantes de la CLES?

Fortin et Roussel disent également toutes deux travailler sur le traitement des corps des femmes et des personnes queers : je ne pense pas me tromper en en concluant qu’elles endossent l’idéologie de l’identité de genre. Je pose donc la question : est-ce qu’elles admettent que les discours critiques du genre ont aussi leur place à l’université, dans les médias et dans la société?

 

Je ne présume pas de leurs réponses, je dis que ce seraient des questions à leur poser. Mais il y a lieu de se demander si on n’a pas affaire à des militantes de cette frange de gauche selon laquelle le seul discours à avoir droit de cité est celui qui endosse leurs orientations idéologiques.

 



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