Nous ne mégenrons pas, et vous non plus

Par: Annie-Ève Collin

Par Annie-Ève Collin et Marie-Élaine Boucher

 

Le verbe « genrer » est un néologisme qu’on entend assez souvent depuis quelques années. Ceux qui l’utilisent parlent comme si l’acte de genrer existait depuis toujours et comme si c’était une chose que tout le monde fait, mais c’est faux. Ce néologisme s’inscrit dans une idéologie qui attribue au mot « genre » un sens qui n’existait pas en français jusqu’à récemment, et dont nous soutenons qu’il ne fait toujours pas partie des références communes.

 

La plupart du temps, quand on accuse les gens de mégenrer (en gros, de genrer, mais pas correctement), on leur reproche quelque chose qu’ils ne font pas. En effet, on ne genre pas : on accorde en genre ou encore on fait référence au sexe des gens ; si on ne genre pas, logiquement, on ne mégenre pas.

 

L’équivalence entre genre et le mot anglais gender est moins certaine qu’on veut nous le faire croire : en français, le mot genre pour parler du masculin et du féminin n’a été utilisé qu’en grammaire jusqu’à récemment.

 

Le dictionnaire historique de la langue française (le Robert) nous apprend que le mot genre vient du latin genus, generis, qui signifie naissance ou race, puis ensuite « réunion d’êtres ayant une origine commune et des ressemblances naturelles ». Le terme « genre » est utilisé pour désigner des classes d’objets, et quand on y pense, des objets très divers sont classés dans des genres : en taxonomie, le mot genre est utilisé pour désigner un rang de classement plus spécifique que la famille, plus large que l’espèce ; le théâtre et le roman sont des genres littéraires ; etc.

 

Il est révélateur qu’il ne soit pas question des genres masculin et féminin dans l’article sur le mot genre du dictionnaire historique de la langue française.

 

Les genres masculin et féminin sont avant tout des notions grammaticales. Ce sont les noms qui sont masculins ou féminins, et qui appellent un accord masculin ou féminin pour les adjectifs et les pronoms qui s’y rapportent. Le nom thé est masculin, et c’est pour ça qu’on dit UN thé VERT, le nom plante est féminin, et c’est pour ça qu’on dit UNE plante VERTE.

 

Au 20e siècle, un usage du mot genre, entendu comme masculin et féminin, mais lié aux humains et non à la grammaire, s’est établi en sciences humaines. Des théoriciens se sont mis à utiliser le mot genre pour référer aux attentes de la société envers les individus selon leur sexe.

 

Un autre usage s’est ajouté, d’une certaine manière lié au précédent, mais tout de même distinct : chacun se sentirait féminin ou masculin, ou d’un autre genre pour ceux qui se disent non binaires ; ce ressenti serait le genre. Compris comme cela, le genre n’est pas social mais individuel ; ceux qui endossent ce concept l’appellent communément « identité de genre ».

 

Ces usages s’inscrivent dans un cadre théorique précis et, surtout, dans un cadre militant précis. Monsieur et Madame Tout-le-monde n’ont pas l’habitude de faire référence à l’identité de genre de qui que ce soit, surtout que beaucoup d’entre eux ne connaissent même pas cette notion. D’autres, comme nous, la connaissent mais ne l’endossent pas. D’une façon ou de l’autre, la majorité des gens ne « genrent » pas, ils accordent les adjectifs et les pronoms selon le genre grammatical des NOMS, c'est-à-dire d'un donneur d'accord.

 

Par ailleurs, ils utilisent les mots femme et homme selon la définition commune de ces mots, liée au SEXE des gens : l’homme est le mâle de l’espèce humaine, la femme en est la femelle. Si vous dites de quelqu’un dont vous voyez bien qu’il est de sexe mâle qu’il est un homme, et qu’on vous reproche sur un ton indigné de l’avoir mégenré parce qu’il s’identifie comme une femme ou comme non-binaire, posez-vous la question : parliez-vous de son identité de genre ou de son sexe ? Si vous parliez de son sexe, vous ne l’avez pas genré, et vous ne pouvez donc pas l’avoir mégenré.

 

Si, comme JK Rowling, vous affirmez que seules les femmes peuvent avoir leurs règles, vous ne niez l’identité de genre de personne, vous faites une remarque liée au sexe. Et votre remarque est juste.

 

Nous concluons en disant que malgré tout, ceux qui disent que « plus d’un genre peut avoir des menstruations » ont techniquement raison. En effet, souvenez-vous que le mot genre est utilisé en taxonomie. Si vous étudiez les chimpanzés, qui représentent un genre différent du genre humain, vous apprendrez que les femelles menstruent également, tout comme les femelles humaines, c’est-à-dire les femmes...

 

Bien entendu, dire de quelqu’un que c’est un homme alors qu’en réalité c’est une femme ou l’inverse, ça arrive, tout comme il arrive qu’on se trompe dans l’accord d’un mot. Seulement, auparavant, on n’appelait pas ça mégenrer, on appelait ça se tromper, tout simplement. Nous proposons de continuer d’appeler ça se tromper et de ne pas y accorder une importance démesurée : il suffit de corriger son erreur et la vie continue.

 



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