L'amitié

Par: Annie-Ève Collin

Le philosophe français Luc Ferry disait dans une conférence filmée au cégep de Limoilou que l'amitié - philia - c'est "Merci d'exister". J'ai écouté cette conférence un nombre incalculable de fois, et j'aime vraiment sa façon de décrire ce qu'est l'amitié, que je paraphrase ici : quand vous apercevez votre ami(e), le sourire vous vient aux lèvres avant toute forme de calcul. Vous ne vous demandez pas si vous allez avoir une discussion sur un sujet passionnant, ni si vous allez prendre un café avec cette personne, ni si vous avez une chance qu'elle accepte de vous prêter de l'argent.


L'amitié n'est pas affaire de services échangés, ni d'intérêts communs, ni d'idées politiques communes (même si bien entendu, rien n'empêche de partager aussi ce genre de chose avec des amis).

Je sais que je n'ai aucune originalité en déplorant que les réseaux sociaux aient incité beaucoup de gens ordinaires à s'autoproclamer brigade spéciale de la police des moeurs. Mais ce n'est pas parce que je ne suis pas la première à en parler, que c'est moins vrai. 

Il se peut que vous vous demandiez ce que ça vient faire : j'ai commencé par vous parler de l'amitié, et me voilà à vous parler des problèmes liés aux réseaux sociaux.

Eh bien voici le lien : ces derniers temps, quelque chose qui se fait depuis longtemps m'a saisie, sans doute parce que j'en ai eu marre qu'un de mes contacts - qui n'est désormais plus un contact - me le fasse de façon sporadique. La police des moeurs se permet différentes choses, et notamment de demander des comptes aux gens sur leurs amitiés. "Comment ça se fait que tu es ami(e) avec Untel, puisqu'il défend telle ou telle idée, ça veut dire que tu penses comme lui?" Et on vous enjoint de dire publiquement - parce que oui, les réseaux sociaux c'est public - que vous vous dissociez de quelqu'un pour qui vous ressentez de l'amitié. 

Il peut arriver que vous soyiez bel et bien en profond désaccord avec quelque chose qu'a dit ou fait une personne pour qui vous ressentez de l'amitié, seulement, ça ne vous empêche pas d'être son ami(e). On n'a à répondre de ses amitiés devant personne, surtout pas devant des internautes qu'on connaît peu, voire pas du tout et qui se permettent de nous demander des comptes sur Facebook.

Ceux qui me lisent comprendront particulièrement bien comment les exemples concrets suivants illustrent ce que je veux dire : parmi les personnes que je considère comme mes meilleures amies, on retrouve quelqu'un de très conservateur qui s'oppose aux mariages de couples de même sexe, ainsi que quelqu'un qui s'identifie comme une femme trans non binaire et qui défend à fond l'idée qu'on est femme ou homme (ou ni l'un ni l'autre) par son identité de genre, en plus d'avoir une certaine aversion pour Sam Harris et Richard Dawkins. 

Mais ces gens, je les aime. Je ne les aime pas pour leurs idées, et je ne pourrais même pas dire que je les aime pour des raisons précises. Je les aime, c'est tout. Et je n'ai pas à m'en justifier.



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