Lettre ouverte à Catherine Durocher

Par: Annie-Ève Collin

Madame Durocher,

vous avez rédigé et fait signer par plusieurs personnes une lettre dans laquelle vous accusez gratuitement les féministes de Pour les droits des femmes du Québec (PDF Québec) d'intolérance et même de violence. J'ai répondu à votre lettre dans un billet publié hier. Vous êtes venue commenter mon billet, et on peut voir une partie de notre échange dans les captures d'écran ci-dessous.




En plus de ce que j'ai écrit dans mon billet d'hier, j'aimerais m'adresser à vous pour répondre à d'autres éléments de votre lettre parue dans la Presse, dont un est revenu dans vos commentaires sous ma réponse, de sorte que je commencerai par celui-là : vous présentez le fait de nier l'identité de quelqu'un comme le summum de la violence. Dans les commentaires que vous m'avez adressés, vous parlez de "nier l'identité même de quelqu'un". Qu'est-ce que c'est, "l'identité même de quelqu'un"? 

C'est une expression très vague, qui paraît susceptible d'être utilisée de façon dangereuse, dans la mesure où on ne peut pas avoir de critères précis, ni même objectifs, permettant de statuer sur ce qui fait partie de "l'identité même" d'une personne. On voit mal sur quelle base on pourrait contredire quelqu'un qui dit que tel ou tel élément fait partie de son identité. Si on part du principe qu'on ne doit pas nier "l'identité même" de quelqu'un, alors il devient facile de décréter que les autres ne peuvent pas nous contredire sur ce dont on a établi que ça fait partie de notre "identité même", ce qui ouvre la porte à une censure qu'on ne saurait tolérer dans une société libre.

En fait, je réitère ce que je vous ai dit dans notre échange d'hier : vous prétendez qu'il y a de la violence à nier l'identité des gens, or on parle de gens qui s'identifient comme étant de l'autre sexe, c'est-à-dire comme quelque chose qu'ils ne sont objectivement pas. 

Pour ma part, c'est plutôt dans cette attitude que vous avez adoptée, à l'instar de nombreuses autoproclamées féministes et de militants se réclamant du mouvement LGBTQ+, que je vois une forme de violence : vous cherchez à imposer à tout le monde de confirmer que les personnes trans sont quelque chose alors qu'elles ne le sont pas, en disant que si les gens refusent de confirmer ce que vous appelez l'identité des personnes trans, alors ce sont des personnes intolérantes, violentes, méprisantes et qui font de la discrimination.

"Soit vous confirmez ce qu'on dit, peu importe que vous ayez des raisons de croire que nous avons tort, soit vous êtes méchants" : c'est de la manipulation, rien de moins.

On aura beau spécifier par ailleurs - comme l'ont fait les femmes de PDF Québec à plusieurs reprises, de même que toutes les autres féministes critiques du genre que j'ai lues - qu'on reconnaît les personnes trans comme des êtres humains égaux en dignité à tous les autres, qu'on veut que ces personnes soient protégées contre la violence, qu'elles aient des droits comme tout le monde, si on ne confirme pas qu'être une femme est une question de ressenti et que du coup, si quelqu'un dit se sentir femme alors il en est une, on est à classer dans le même camp que des gens qui haïssent et même violentent physiquement les personnes trans!

Par ailleurs, je tiens à répondre à votre question : "y a-t-il plus grande violence que de refuser son identité à quelqu'un?" Je vous répondrais que oui, il y a des formes de violence hautement plus graves (la violence conjugale, par exemple, ou encore le viol, l'excision, le meurtre, qu'en pensez-vous?) 

D'ailleurs, revenons un moment sur cette idée de refuser de laisser quelqu'un établir lui-même ce à quoi il s'identifie : imposer à des femmes qui tiennent à ce qu'on tienne compte de leur sexe, parce qu'elles considèrent qu'il est un élément important de leur personne et de leur vécu, de cesser de parler de ce dernier, et leur imposer de s'identifier en fonction d'un genre, n'est-ce pas justement les empêcher de concevoir leur identité à leur manière?

Je peux vous assurer que bien des femmes, en particulier chez les féministes universalistes - le féminisme universaliste étant celui qui est défendu par PDF Québec - ne s'identifient justement PAS à un genre. Nous sommes nombreuses à considérer que le genre représente précisément la construction sociale qui a enfermé les femmes dans des stéréotypes réducteurs et dans des rôles de subalternes. Et maintenant, ce sont des femmes qui se disent féministes qui veulent nous imposer de nous identifier à ce que nous considérons devoir combattre! Et ces femmes qui veulent nous imposer cela, vous en faites partie, Madame Durocher.

Parlant de féminisme universaliste : nous avons toute légitimité de défendre ce féminisme-là plutôt que le féminisme intersectionnel. Toutes les féministes ne sont pas obligées d'adopter le féminisme intersectionnel, qui est loin d'être au-dessus de la critique. 

De plus, contrairement à ce que vous semblez croire, les féministes n'ont pas attendu l'arrivée du concept d'intersectionnalité pour tenir compte du fait qu'il y a des femmes plus vulnérables que d'autres, en raison de leur classe sociale, parce qu'elles font partie d'une minorité ethnique, parce qu'elles sont homosexuelles ou en raison d'autres facteurs. Les féministes universalistes de notre époque, suivant les traces de leurs prédécesseures, ont également conscience de cette réalité et la prennent en compte. On n'a pas besoin d'adhérer au féminisme intersectionnel pour ça.

Il m'apparaît également que vous vous trompez sur un autre point : à la lumière de votre lettre parue dans la Presse et de notre échange d'hier, vous semblez bien sûre de vous quand vous affirmez que la majorité des féministes pensent comme vous. En l'absence de données concrètes, ni vous ni moi ne pouvons nous prononcer sur la proportion de féministes dont les positions se rapprochent des vôtres, ni sur la proportion de féministes dont les positions se rapprochent de celles de PDF Québec. Cependant, je pense pouvoir m'avancer à vous dire que des femmes qui pensent comme nous, il y en a plus que vous pensez.

Vous ne les entendez probablement pas pour des raisons faciles à comprendre : vous n'avez qu'à regarder les accusations que vous avez portées contre les femmes de PDF Québec parce qu'elles ont osé exprimer leur point de vue, ainsi que celle que vous avez portées contre moi pour la même raison. 

Notez aussi que des accusations comme celles-là sont lancées systématiquement contre les femmes qui osent exprimer un point de vue semblable au nôtre, et que le danger ne se limite pas à celui d'être ciblé par des accusations. Des femmes ont été victimes de campagnes de salissage pour avoir tenu des propos semblables à ceux de PDF Québec (récemment, il y a eu le cas fort médiatisé de JK Rowling). Des femmes ont perdu leur emploi pour avoir exprimé des opinions semblables, certaines ont été exclues de refuges pour femmes victimes de violence pour avoir osé dire qu'elles étaient mal à l'aise de devoir partager un espace intime avec des hommes (parce qu'objectivement, les trans de sexe mâle sont des hommes, leur identité subjective n'efface pas la réalité objective de leur sexe ; culpabiliser des femmes qui ont fui un compagnon violent ou un proxénète parce qu'elles sont mal à l'aise de devoir partager avec des hommes le refuge où elles vont pour se reconstruire, ce n'est pas très féministe, et c'est un manque d'empathie vraiment épouvantable).

Vous faites en sorte que les femmes qui ont conscience de la différence entre une femme et un trans de sexe mâle, et de l'impact négatif sur les femmes du remplacement de la notion de sexe par celle de genre, aient peur de s'exprimer. Du coup, vous devriez éviter de conclure que, puisque vous n'entendez pas beaucoup de femmes s'opposer à la prétention que les trans de sexe mâle sont des femmes, alors elles sont peu nombreuses à considérer que ce ne sont pas des femmes.

Il se trouve justement que, comme vous pouvez le constater, je fais partie des femmes qui osent s'exprimer à ce sujet malgré les accusations que je risque de recevoir de la part des gens comme vous. Et les femmes qui font ce que je fais, reçoivent des confidences d'autres femmes qui n'osent pas braver la police des moeurs auto-proclamée (c'est-à-dire les gens comme vous), mais qui abordent discrètement les femmes comme moi pour leur dire : "Merci de le dire, j'aimerais tellement avoir ton courage."



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