Ces derniers jours, Nassira Belloula s'est ajoutée à la liste de plus en plus longue de femmes qui ont été salies publiquement et harcelées pour avoir rappelé qu'il existe bel et bien un groupe d'humains traditionnellement appelé "les femmes", un groupe d'humains caractérisé non pas par une identification subjective, mais par une réalité qui est d'avoir un sexe femelle. Et aussi que ce groupe d'humains a des droits, et que ses droits ne doivent pas être bafoués au nom des droits d'un autre groupe d'humains. Les droits des différents groupes d'humains doivent être équilibrés.
Le propos central de Nassira Belloula, dans un billet paru dans le Devoir le 23 juin 2020, se résume comme suit : il faut établir un équilibre entre les droits des personnes trans et les droits des femmes.
Les réactions - non seulement les commentaires d'internautes déchaînés qu'elle a reçus sur sa page Facebook personnelle, mais aussi ceux qui ont déferlé sur la page Facebook du Devoir et sur celle de la maison d'éditions Hashtag, ainsi que les quatre textes publiés dans le Devoir à la suite de celui de Belloula - n'auraient pas été différentes si elle avait écrit que les personnes trans ne doivent pas avoir de droits. Or, elle a précisément dit le contraire.
Certains ont dit qu'on ne perd pas ses droits parce qu'on en reconnaît à d'autres. Bien que cette affirmation ne soit pas fausse, elle est simplette. Elle néglige une notion importante en éthique et en philosophie politique, une réalité au sujet des droits humains qui existe pourtant depuis que les droits humains existent : des droits peuvent entrer en conflit avec d'autres droits, ce qui oblige à s'interroger sur les manières d'équilibrer tous les droits, et les droits de tous les humains.
Commençons par revenir sur une notion simple en philosophique éthique : celle de dilemme moral. Nous rencontrons tous, dans notre vie, des situations où nous devons faire un choix, et peu importe le choix qu'on fait - y compris le choix de ne rien faire - on enfreint une exigence morale. On dit alors qu'on est face à un dilemme moral : on doit choisir entre deux valeurs morales ou entre deux principes.
Si vous voyez un de vos collègues qui est aussi votre ami voler 20$ à un autre collègue, qu'est-ce qui prendra le dessus : votre loyauté envers votre ami, ou ne pas laisser quelqu'un se faire voler? Que faire quand on a un couple d'amis dont on sait que l'un des deux trompe l'autre? Qu'est-ce qui est plus important entre le principe de ne pas interférer dans les affaires des autres et le principe de ne pas laisser un ami se faire tromper? Mon but ici n'est pas de répondre à ces questions, mais d'illustrer par l'exemple ce que peut être un dilemme moral.
Souvent, dans un dilemme moral, il ne s'agit pas tant de donner la primauté à une exigence morale sur une autre, que de trouver des solutions pour donner de la place à l'une et à l'autre, puisqu'en effet, ça demeure deux EXIGENCES morales. On ne peut pas tout bonnement en sacrifier une au profit de l'autre.
Les droits, au départ, sont précisément ça : des exigences morales, seulement elles sont d'une telle importance qu'elles sont protégées par des institutions de l'État. Leur importance n'évite pas, toutefois, qu'ils puissent entrer en conflit les uns avec les autres. Quiconque a tâté le droit, l'éthique ou la philosophie politique sait qu'il est commun qu'on doive s'interroger sur les bonnes manières d'équilibrer le droit à l'égalité avec celui à la liberté, par exemple.
Il arrive que l'exercice des droits de plusieurs groupes d'humains entrent en conflit. Et c'est parfois le cas entre les personnes trans et les femmes : une partie des revendications des associations LGBTQ+, vont à l'encontre des besoins sexo-spécifiques des femmes. Face à ce dilemme, il est légitime de faire comme a fait Nassira Belloula, et avant elle JK Rowling, et avant elle bien d'autres femmes : appeler à ce qu'on établisse des compromis qui respectent les droits de tout le monde.