CORONAVIRUS ET MULTICULTURALISME : « MAIS ELLE EST OÙ LA DIVERSITÉ ? »

Par: François Côté

Hier matin dans La Presse, nous avions droit à la plus sévère et la plus sérieuse des critiques de la gestion faite par le gouvernement Legault de la terrible crise de la COVID-19. Quoi donc, vous demandez-vous? Aurait-on commis un cafouillage logistique dans une chaîne d'approvisionnement ? Se serait-on trompé dans une modélisation statistique pour nous envoyer frapper un mur? Des gens sont-ils en train de mourir à cause d'une mauvaise décision du gouvernement du Québec?



Non. Pire. Bien pire.



Il manquerait de diversité culturelle dans la manière dont le gouvernement gère cette crise et s'adresse à la population.



« Mais elle est où, la diversité ? Pourquoi ce n’est que des Blancs qui nous parlent dans les médias ? Comment ça se fait qu’on ne voie aucun représentant des minorités culturelles s’adresser à elles comme on s’adresse à moi ? (…) Ça m’inquiète de constater que le message semble uniquement s’adresser à la culture dominante, à la majorité visible, aux Québécois et Québécoises blancs »



Vous avez bien lu. Alors que le monde entier est paralysé par le pire fléau médical du début du millénaire, que nous approchons du million de malades sur le globe, que les décès s'y calculent par dizaines de milliers et que l'État du Québec fait tout en son pouvoir pour résister à la tempête, aplatir la courbe et sauver des vies, on s'insurge dans La Presse parce qu'il... manquerait de diversité culturelle dans l'image et l'approche gouvernementale face à la crise. La justice sociale inclusive et la lutte à la discrimination systémique (tout discutable le concept soit-il en lui-même…) dans toute sa splendeur.



Oublions le fait que le Dr Horacio Arruda, ce héros national sur toutes les chaînes en ce moment, est un fils d'immigrants portugais (« trop bien intégré » apparemment, il ne « compterait pas » doit-on comprendre) – où sont les porte-parole racisés ? Comment se fait-il qu'on ne parle que français et anglais durant les conférences de presse – pourquoi pas un mot en arabe, en espagnol ou en mandarin ?



« Je pense qu’il est urgent que nos élus et nos médias se mobilisent pour s’adresser spécifiquement aux milliers de Québécois qui ne s’identifient pas au super trio durant les conférences de presse quotidienne » lit-on (car la capacité même de comprendre un message objectif dépend de la faculté d'une personne de s'identifier à son interlocuteur, bien évidemment...), juste avant un : « Le virus, il s’en fout de notre loi 101, il ne discrimine personne » pour conclure en glissant insidieusement que la Charte de la langue française serait discriminatoire et que le fait d'avoir une langue commune et officielle au Québec dans les communications émanant de l'État serait, dans le fond, une forme passive de xénophobie.



De tels propos, subordonnant la communication à l'identité culturelle et semblant aborder la crise sous la lorgnette du marketing politiquement correct, sont absolument choquants, déconnectés et intellectuellement nauséabonds. Notamment pour deux raisons :



Premièrement : le coronavirus est une affaire médicale qui affecte tout le monde. Il ne s'agit pas d'un fléau particulier à certaines communautés ethnoculturelles que le gouvernement ignorerait parce qu'il ne s'agirait pas d'un « problème de la majorité » – et les bulletins d'information du gouvernement n'ont pas pour objectif de séduire vers une idée politique ou de vendre un produit en suscitant un sentiment d'appropriation viscéral chez le spectateur; il s'agit de livrées d'informations objectives. Faut-il le rappeler, nous sommes en temps de crise. L'heure n'est pas à la séduction sectorielle, mais à l'autorité générale. Pourtant, la critique de Lara Geinoz dans La Presse ignore le phénomène lui-même pour ne prêter attention qu'à l'image de la réponse, qui commettrait le pêché de ne pas être taillée sur mesure pour une infinité de groupes et de sous-groupes particuliers. En raison d'un manque de diversité représentationnelle, doit-on comprendre, certains pourraient se dire « bof » et se désintéresser comme on le ferait après avoir regardé une publicité de yogourt nous laissant indifférent parce qu'elle ne montrerait pas des « gens comme nous » qui consomment le produit. Il y a quelque chose de profondément malaisant derrière cette conceptualisation de l'État, de son action et de ses représentants. C'est non seulement vrai en temps normal, et ça l'est encore plus en situation d'urgence, le seul et unique critère d'accès à l'État devrait être le mérite personnel d'une personne qui se distingue par son expertise et sa compétence dans le respect des règles et/ou, en cas de nomination démocratique, la confiance exprimée par voie de majorité électorale. Insinuer par la bande qu'on devrait faire preuve de « discrimination positive », au surplus à un moment pareil, et tasser les plus compétents pour satisfaire un appétit de diversité visuelle et linguistique politiquement correcte, à de quoi laisser pantois. En outre, au-delà des idéologues enfermés dans leurs tours d'ivoire, disons-le franchement, l'immense majorité des Québécois se fiche éperdument de l'origine ethnique des répondants – la seule chose qui compte est que ces répondants soient les meilleurs et les plus compétents possible pour faire face à la crise. Essayez de demander un accommodement raisonnable au coronavirus parce que vous voulez privilégier l'image avant la compétence, pour voir...



Deuxièmement, plus grave encore, non seulement l'« identity politics » multiculturaliste est une approche divisive et enfermante dont le mérite même est à remettre en question en temps normal, mais en pleine période de crise, il est tout simplement irresponsable et hautement inapproprié de clamer le clivage. Ce n'est jamais le moment de louanger l'enfermement communautaire – mais maintenant c'est encore pire. Faire de la petite politique multi/interculturaliste carburant au refus d'adhésion nationale en temps d'urgence relève du pire moment possible et est, il faut bien le dire, ahurissant. Le discours qu'on nous sert dans La Presse semble prendre pour prémisse que les membres de diverses enclaves communautaires, particulièrement à Montréal, ne se sentiraient pas rejoints, pas concernés par le gouvernement et ne l'écouteraient pas parce que ses représentants ne leur ressembleraient pas – et que cela serait absolument légitime et indiscutable, peu importe la nature ou l'objectivité du message. « Je pense qu’il est urgent que nos élus et nos médias se mobilisent pour s’adresser spécifiquement aux milliers de Québécois qui ne s’identifient pas au super trio durant les conférences de presse quotidienne ». Qu'on me permette, d'abord, de douter de la véracité empirique d'une telle affirmation hormis au sein des plus intraitables des communautarismes. De tels propos, ensuite, viennent avaliser le modèle du repli et la non-convergence vers l'identité nationale (laquelle, étant par définition au Québec affaire de langue, d'institutions, de droit et de valeurs, est pourtant accessible à tout le monde) au pire moment possible alors que nous avons au contraire besoin d'agir comme un corps social solidaire devant l'épidémie. Au surplus, ce discours renforce l'idée d'une division implicitement victimaire à entretenir entre une panoplie d'identités sectorielles (les communautés culturelles) à qui s'opposerait un « Eux » général (les Québécois Blancs), où chaque groupe ne veillerait qu'à ses propres intérêts. L'« identity politics » multiculturaliste est en lui-même éminemment critiquable en temps normal – mais en temps de crise, sa nature divisive louant les microcosmes individuels et communautaires par devant la nation et l'intérêt commun en devient pathologique. Critiquer la réponse d'un gouvernement face à l'épidémie en raison de l'origine ethnoculturelle de ses représentants (« Québécois Blancs ») est fragmentaire, fallacieux et malsain. L'expression n'est pas de moi, mais il convient de la répéter, ce n'est rien de moins qu'une forme de racisme déguisée en antiracisme.



S'il y a quelque chose, la présente épidémie nous offre en pleine lumière le plus puissant des révélateurs de la force du nationalisme citoyen rassembleur et révèle au grand jour les tares de l'enfermement dans le communautarisme identitaire multiculturel. Comparez la gestion de la crise par le gouvernement du Québec, nationaliste, et celle faite par le gouvernement fédéral, internationaliste multiculturel. Les résultats parlent tellement d'eux-mêmes qu'il n'est même pas nécessaire de les commenter…



Plus que jamais, nous Québécois avons certes le devoir de tout mettre en œuvre pour favoriser l'intégration culturelle, linguistique, économique, sociale, politique, des membres de notre société issus de l'immigration et de la diversité – mais ce devoir va également dans l'autre sens et s'accompagne nécessairement d'une démarche de rapprochement et d'intégration à la majorité nationale pour y converger et y prendre part culturellement, linguistiquement, économiquement, socialement et politiquement, dans le but de faire intégralement partie de ce « Nous » rassembleur. Un « Nous, Québécois » qui, pour le répéter, n'en a strictement rien à faire de l'ethnie, pour qui la religion est une affaire purement personnelle relevant du libre choix mais pas une caractéristique essentielle définissant l'individu, et au sein duquel l'enrichissement culturel passe nécessairement par un processus d'adaptation. De telles prétentions que nous servait La Presse hier reviennent à nier ce rapport, pour invectiver l'État à essayer d'être « moins Québécois, moins Blanc » au nom d'une représentation projetée et on ne peut plus discutable de la diversité culturelle qui semble fantasmer un Québec réécrit par Netflix où la pandémie serait à aborder comme un film politiquement correct – alors que nous avons plus que jamais besoin d'une convergence et d'un rassemblement qui dépasse les différences individuelles et communautaires pour faire face à cette épidémie bien réelle.



En temps normal, un tel discours est lamentable.



En temps de crise, c'est tout simplement ignoble.



Ce genre de discours ne correspond pas à la nation, divise plutôt que de rassembler, et s'inscrit en faux avec notre vivre-ensemble. Il ne correspond pas à la réalité québécoise et n'y a pas lieu d'être.



Ni hier, ni aujourd'hui.



Et, une fois que cette terrible crise sera passée et que des comptes seront à rendre et une société à reconstruire, ni encore moins demain.





- François Côté, Avocat





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