Je ne suis pas Stella

Par: Annie-Ève Collin

Le meurtre de Marylène Lévesque est une tragédie qui a suscité de nombreuses réactions. Sandra Wesley, militante pour les droits des travailleuses du sexe, fait partie de celles qui traitent de SWERFs (sex workers exclusionnary radical feminist) les féministes abolitionnistes de la prostitution. Elle accuse ces dernières (et en même temps pas mal de monde, incluant ceux et celles qui regardent la série Fugueuse) d'être complices du meurtre de Madame Lévesque, tout en mettant tout le monde devant un faux dilemme assez effronté : 




Dans ce billet, je n'ai pas l'intention de défendre de position en ce qui concerne la façon dont l'État devrait traiter la prostitution. Je vais me borner à parler d'une réaction que suscitent chez moi les autoproclamées féministes qui défendent la prostitution en insistant exclusivement sur la notion d'agentivité des femmes, incidemment souvent les mêmes qui défendent le voile islamique, parlent de "féminisme blanc" et traitent de transphobe quiconque n'achète pas l'idéologie du genre. 

Précisément, ces soi-disant féministes suscitent chez moi la même réaction que les militantes voilées qui choisissent réellement de porter le voile et qui pourraient l'enlever n'importe quand si elles le voulaient, qui ramènent tout à leur personne en disant essentiellement que puisqu'elles portent le voile volontairement, personne n'a rien à dire contre le voile. Ces femmes ramènent à leur personne des questions qui les dépassent.

Les féministes qui s'en prennent aux abolitionnistes de la prostitution insistent sur la liberté individuelle des femmes, sans tenir compte que la liberté demande plus qu'une simple déclaration et plus que de la théorie. La liberté demande d'aménager des conditions qui rendent possible de faire des choix éclairés et avantageux pour soi, ainsi qu'un certain degré de solidarité au sein de la société.

Il est assez largement admis que la tolérance est ce qu'on appelle une vertu paradoxale. Il s'agit d'une vertu qui doit être limitée faute de quoi elle s'autodétruit. En effet, si on tolère tout sans distinction, on tolère même l'intolérance, et quand on tolère l'intolérance, on aboutit précisément à celle-ci, donc au contraire de la tolérance.

La liberté est aussi une vertu paradoxale. Pour avoir une marge de liberté, il faut accepter des contraintes, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Pour que chaque individu ait l'assurance qu'il a un espace à l'intérieur duquel il peut, sans entrave, faire des choix éclairés et avantageux pour lui, il a besoin de la garantie que les autres, qui exercent aussi leur liberté, n'agiront pas d'une manière qui nuit à sa propre autonomie, à sa sécurité, à ses autres droits (ou du moins qu'il aura des recours contre eux si cela se produit).

Cela devient d'autant plus flagrant quand on parle des droits d'un groupe d'humains qui ne sont pas d'emblée en position de pouvoir. Un bon exemple pour illustrer : les droits des travailleurs. On sait bien que les syndicats imposent des contraintes aux travailleurs. Ces contraintes sont nécessaires pour donner des garanties à l'ensemble des travailleurs.

La même chose est vraie pour bien d'autres groupes d'humains : un choix peut rapporter des avantages à une femme en particulier tout en étant nocif pour les femmes en général. Peut-être est-ce le cas de la prostitution. Je ne l'affirme pas, je dis que c'est une question qu'on peut très bien soulever et dont on peut débattre. J'en profite pour dire que ce n'est pas parce que quelqu'un répond oui à cette question, qu'on peut conclure qu'il hait les prostituées et qu'il préfère qu'elles soient tuées plutôt que d'être protégées par les institutions.

Une prostituée peut vouloir faire ce qu'elle fait pour l'argent que ça lui rapporte, par exemple. Oui, il y a des prostituées qui tirent des avantages de leur activité. Je reconnais même qu'il y en a qui exercent ce métier volontairement, en étant en sécurité, et qui gèrent elles-mêmes les revenus que cela génère. Et pour celles dont ce n'est pas le cas, bien entendu que je suis favorable à ce qu'elles puissent faire appel à la police et aux autres institutions pour faire valoir leurs droits à la sécurité, à la dignité et autres droits.

Seulement, quand la pétillante Dalila Awada, femme privilégiée s'il en est (belle, ayant les moyens d'aller à l'université ET de faire des poursuites en diffamation, avec bon nombre de tribunes pour se faire entendre et des centaines de fans) se donne en exemple pour dire : "Vous voyez bien que c'est notre choix, arrêtez de dire du mal du voile!", j'ai envie de lui dire : "Mais arrête de tout ramener à ta petite personne! Ce n'est pas toi qu'on cherche à défendre quand on s'oppose au voile islamique!" Eh bien quand des prostituées qui sont au-dessus de leurs affaires, qui ont la chance de gagner beaucoup d'argent et qui aiment faire le métier qu'elles font se donnent en exemple, comme si c'étaient elles les plus importantes quand il s'agit de cette question-là, ça me donne aussi envie de les rabrouer.

Je ne saurais l'exprimer mieux que Stéphanie Multicause dans le commentaire ci-dessous : 



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