Dans un précédent billet, j’exposais mon compte rendu d’une conférence ayant pour titre « L’intersection
entre l’islamophobie et l’hétérocissexisme », donnée par Sébastien Chehaitly
à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Dans cette deuxième partie, je
parlerai du déroulement de la période de questions/discussion qui a suivi la
conférence.
Une anthropologue qui dit
ce qu’on ne veut pas entendre
Tel que je l’ai déjà mentionné
dans la première partie, une anthropologue, qui a étudié longuement les
religions abrahamiques, a profité de la période de questions pour faire valoir
que la réalité sur l’islam, c’est que le coran condamne l’homosexualité (elle a
lu quelques versets pour appuyer son affirmation). Elle a également fait
remarquer que tous les pays qui condamnent à mort les homosexuels de nos
jours sont des pays musulmans.
Ce n’était certes pas ce que beaucoup de ceux qui étaient venus écouter voulaient entendre, ni le conférencier d'ailleurs, aussi on a cherché à l’empêcher de parler en chahutant, en lui criant qu’elle était islamophobe (elle apportait des FAITS sur le contenu du coran et sur les pays qui criminalisent l’homosexualité...serait-ce que les faits sont islamophobes?)
Je n’ai pu m’empêcher
d’intervenir face à cette réaction indigne d’une bonne partie de l’audience. J’ai dit
bien fort : « Hé, les autres qui ont parlé, on vous a laissés finir
vos interventions! Laissez-la finir ! » Elle a fini par pouvoir terminer
ce qu’elle avait à dire, mais en étant coupée à plusieurs reprises. Je suis
d’ailleurs intervenue une autre fois pour dire à un jeune homme qui la coupait
de la laisser finir.
C’était surréaliste...après
cet incident, le conférencier a demandé que les interventions ne soient pas
polémiques. Il a demandé de faire preuve de tolérance...mais il semble bien que
cette injonction à la tolérance s’adressait à ceux qui avaient l’intention
d’intervenir pour critiquer la démarche du conférencier, à l’instar de la dame
dont je parlais dans les deux paragraphes précédents. Cette injonction à la
tolérance, c’est pourtant à ceux qui ont cavalièrement interrompu quelqu’un qui
utilisait son tour de parole durant la période de questions qu’elle aurait dû
s’adresser.
Un jeune homme présent a été particulièrement bruyant et agressif envers l’anthropologue, une femme qui avait certainement plus de 60 ans. Pourquoi est-ce que
je mentionne cela ? Voici pourquoi : ce même jeune homme a demandé la
parole plus tard, et une des premières choses qu’il a dites est qu’il avait
conscience d’avoir des privilèges de Blanc, et il a « rappelé » aux
Blancs qu’on devrait écouter les musulmans LGBTQ+ au lieu de parler[1].
Selon le discours basé sur la notion de privilèges, il me semble bien que les
hommes ont des privilèges sur les femmes et les jeunes, sur les personnes âgées.
Selon l’idéologie qui est la sienne, ce jeune homme s’en est grossièrement pris
à une personne sur qui il a des privilèges à deux égards. Cet exemple illustre
bien l’incapacité des militants de la gauche intersectionnelle à faire preuve
de cohérence.
Après que la période de
discussion soit finie, j’ai voulu aller aborder ce jeune homme pour le lui
faire remarquer. Dès qu’il m’a vue sur le point de l’aborder, il s’est mis à
dire : « Non non non. » J’ai essayé de m’adresser à lui quand même,
il s’est mis à hurler pour enterrer ce que je disais : « AAAAAAAAAAAAAAAH! ».
Vous savez, dans la conclusion de la première partie, je disais qu’il y avait
beaucoup de gens immatures dans l’audience, en voilà un autre signe.
Pour poursuivre avec les
signes d’immaturité, mais aussi d’effronterie, une jeune fille s’est interposée
devant moi. Je lui ai dit : « C’est à lui que je parle. » Au nom
de je ne sais quelle autorité, elle m’a ordonné de partir. Une autre jeune
fille, surgissant à côté de moi, a fait de même. Je leur ai dit que leur
attitude était violente.
Line Chamberland, une professeure d'université militante
LGBTQ+ qui faisait partie de l’organisation de la conférence, et qui était
celle qui avait donné les tours de parole durant la période de
questions/discussion, m’a abordée, mais contrairement aux autres, elle l’a fait
sans agressivité, et elle m’a demandé (et non pas ordonné) de partir. Autre
différence avec les autres, elle m’a laissé lui dire ce que j’avais à dire :
j’ai montré le jeune homme concerné, et lui ai dit : « Ce garçon
parle de ses privilèges de Blanc, mais il a intimidé une femme âgée pour tenter
de l’empêcher de parler. J’ai dit ce que j’avais à dire. » Puis je me suis
éloignée, non sans avoir remarqué que quelqu’un avait filmé l’incident.
J’ignore ce que cet individu
compte faire avec le film, mais s’il le montre à des gens, il montrera
essentiellement que je suis quelqu’un qui trouve choquant qu’un jeune homme
intimide une vieille dame pour l’empêcher de parler alors que c’est son tour de
parole.
J’ajoute qu’un autre jeune
homme m’a suivie alors que je m’éloignais en continuant de m’ordonner de
partir. J’ai rejoint un homme dont je venais de faire la connaissance, pour
échanger avec lui, et le jeune homme restait à côté de moi en me disant de
partir. Je l’ai regardé et lui ai dit : « Tu n’as pas à me dire de
partir. Je parle à ce monsieur, je ne te parle pas, laisse-moi. » Bref, on
a cherché à m’intimider pour me faire sortir. Je ne me suis pas laissée
impressionner, mais ça ne m’empêche pas de déplorer fortement l’attitude de ces
gens.
Un philosophe qui rappelle
un principe élémentaire de toute démarche intellectuelle
Un autre individu venu
écouter la conférence, philosophe celui-là, est certainement celui qui a fait
l’intervention la plus pertinente de toute la période de questions/discussion.
Il a fait valoir un manquement conceptuel dans l’exposé (qui se trouve
peut-être également dans l’étude). En effet, il a fait remarquer qu’on ne
précise pas ce qu’on entend par « islam ». Est-ce qu’on parle d’une
religion enchâssée dans certains écrits ? D’un héritage culturel ? D’une
civilisation ? Il est vrai que le mot islam peut avoir plusieurs sens, et cela
est tout aussi vrai pour le mot musulman.
L’intervention d’une femme,
qui répondait à ce philosophe, a également attiré mon attention. Son intervention
était intéressante parce qu’elle révélait qu’invoquer la « méthode
qualitative », ça signifie pour ainsi dire glorifier l’absence de rigueur
intellectuelle. Pour résumer, il ne fallait justement pas définir le mot islam,
parce que chaque répondant devait être libre de dire ce qu’est l’islam pour
lui. Il paraît que ça fait partie de « l’approche qualitative ».
Je l’ai souvent fait valoir
en parlant de l’idéologie du genre, et le même principe s’applique ici, pour le
mot islam : un mot qui n’a pas une définition collective, une définition
que l’on peut partager avec ceux qui nous écoutent ou nous lisent, n’est plus
un mot. Que le mot islam soit polysémique, je ne le conteste pas. Mais dans un
discours qui parle de l’islam, il faut préciser dans quel sens on utilise ce
mot, pour que le discours puisse être compris.
Diabolisation de l’Occident
Une affirmation a été faite à
deux reprises, par deux personnes différentes, manifestement pour s’opposer à
la conviction que l’islam est en soi homophobe. On a affirmé que les lois
homophobes dans les pays musulmans sont des lois colonialistes imposées par des
Blancs. On l’a simplement affirmé, sans apporter de précisions, encore moins de
sources à consulter pour le vérifier.
Je serais bien curieuse de
savoir d’où vient cette idée, si elle est étayée par quoi que ce soit. Et même si elle était vraie, elle ne
changerait pas le fait qu’aujourd’hui, il y a des lois qui protègent les
homosexuels en Occident, alors que ceux-ci sont mal vus, et même dans certains
cas punis par la loi, dans de nombreux pays musulmans. Il y a des limites à se
faire empaler avec des suppositoires de Célaphotaloxidan!
L’université n’est plus ce
qu’elle était, semble-t-il
Je reviens à la dame qu’on a
cherché à empêcher de parler : elle et plusieurs autres, dont moi, nous
sommes fait reprocher d’avoir pris la parole pour dire ce qu’il ne fallait pas.
Le hic, c’est que c’était une conférence dans une université, avec une période
de questions libre. On nous a même invités à discuter et non à simplement poser
des questions. Nous sommes plusieurs à avoir été reçus comme des parias, alors
que nous n’avions enfreint aucune règle.
Certains sont venus me voir,
et voir la dame anthropologue (nous étions ensemble à la sortie de la salle
après que tout soit terminé) et nous ont dit qu’il aurait convenu de laisser la
parole aux personnes concernées, c’est-à-dire les personnes musulmanes qui
s’identifient au sigle LGBTQ+.
Passons sur le fait que ne
pas donner la parole à tous ceux qui souhaitent l’avoir durant une période de
question peut être perçu comme contraire à la façon de faire qui devrait primer
à l’université – je ne donne pas tort à ceux qui pensent cela, mais on peut
avoir des bonnes raisons, dans le cadre d’une activité en particulier, de
vouloir entendre des personnes qui correspondent à un certain profil. Si c’est
ce que voulaient les organisateurs – que la période de questions et discussion
soit consacrée à donner la parole aux musulmans LGBTQ+ – il y aurait eu
l’option de le spécifier. Si tel avait été le cas, je me serais contentée
d’écouter. J’aurais fort probablement exprimé ce que je pensais dans un billet
après, mais j’aurais respecté la règle, si elle avait été édictée clairement.
Une jeune fille est venue me
voir après que je sois sortie de la salle. Elle m’a rapporté qu’elle avait une
amie lesbienne et musulmane qui n’avait pas voulu venir à la conférence de ce
soir, précisément parce qu’elle craignait d’entendre des interventions du genre
de la mienne. Manifestement, cette jeune femme était émue, et il ne me fait
aucunement plaisir que mon intervention ait suscité chez elle un tel sentiment.
Ceci dit, je serai
franche : en ce qui me concerne, la situation était telle qu’elle devait être. En effet, si
on sait que, lors d’un événement, il risque de se dire des choses qu’on ne veut
pas entendre, ne pas y aller est la bonne réaction. Je réitère que s’il avait
été indiqué qu’on n’accepte que les interventions des personnes musulmanes et
LGBTQ+, j’aurais respecté la règle. Je suis désolée que mon intervention ait
fait de la peine à quelqu’un, mais ne regrette pas de l’avoir faite puisqu’elle
n’enfreignait aucune règle.
Et j’insiste : je n’ai
enfreint aucune règle, ni explicite, ni implicite. Il n’existe pas de règle de « politesse »
selon laquelle on doit éviter de contredire ou de remettre en question le
conférencier, ou l’orientation idéologique de celui-ci, lors d’une activité qui
se tient dans une université.
Faut-il avoir lu le coran
pour parler des musulmans homosexuels ?
Plusieurs personnes ont
relevé que le conférencier admettait ne pas avoir lu le coran (ce qui m’a
étonnée, puisqu’il disait en début de conférence avoir été musulman croyant
jusqu’à 17 ans, et s’identifier encore comme ayant un héritage musulman).
Certaines personnes
martelaient que le contenu du coran n’avait aucune pertinence dans ce dont on parle.
Alors le contenu du coran n’a aucune pertinence quant à savoir si l’islam est compatible
avec l’homosexualité ? Pour le dire de manière plus brève, le coran n’aurait
aucune pertinence pour vérifier quelque chose au sujet de l’islam...on nage
dans l’absurde, là ! Le conférencier est allé jusqu’à dire que le coran n’a
aucune pertinence quant à la question de savoir si l’islam permet
l’homosexualité!
Line Chamberland a fait une
remarque plutôt intéressante, à l’effet qu’elle avait déjà étudié la question
du rapport entre les lesbiennes et l’église catholique au Québec, et qu’étudier
cette question ne requiert pas forcément d’avoir lu la bible. Elle a raison, et
de la même façon, il est possible d’étudier les rapports de musulmans
homosexuels avec l’islam sans avoir lu le coran.
C’est possible, mais il ne
faut quand même pas aller jusqu’à exclure la lecture du coran comme élément
pertinent si on cherche à savoir s’il y a opposition entre l’islam et l’homosexualité.
Ça revient carrément à dire qu’il n’est pas pertinent de vérifier les faits, qu’on
préfère éviter de faire souffrir ceux qui se sentent pris entre leur
orientation sexuelle et leur religion, que d’aller au fond des choses. Une
telle position est indigne de toute démarche intellectuelle, à plus forte
raison d’une démarche scientifique.
Le conférencier a également
affirmé que les réactions de ce soir-là prouvaient qu’il était dangereux de
parler de l’homophobie que vivent les homosexuels de culture musulmane de la
part de leur famille ou de leur communauté. Quand on dit que la vérité est
dangereuse, on n’est aucunement en train de faire de la science.
Dans l’expression science
sociale, il y a le mot science ; si vous voulez faire valoir seulement les
faits qui vont dans le sens de ce que vous VOULEZ prouver et non tous les faits
pertinents, trouvez une autre appellation que science sociale.
Conclusion
[1] Par
ailleurs, l’intervention de ce jeune homme était sans lien avec le sujet dont on
parlait, il n’a fait que régurgiter des lieux communs de la gauche régressive,
comme par exemple de dire qu’on se trouvait sur un « territoire non cédé ».
Il a aussi menti en affirmant que les gens avaient une mauvaise attitude – ce qu’ils
n’ont eu que durant la période de questions, à l’égard de l’anthropologue dont j’ai
parlé – et qu’ils coupaient le conférencier. Vous pouvez vérifier par vous-même
que personne n’a interrompu le conférencier en cliquant
ici.