Le véganisme ne doit pas être religieux

Par: Annie-Ève Collin

On apprend qu’en Angleterre, le véganisme est désormais considéré, au même titre que les religions, comme une caractéristique pour laquelle il est interdit de faire de la discrimination.

 

Sans être végane, je considère que certaines utilisations des animaux doivent être éliminées, et que d’autres doivent être diminuées et que les conditions doivent changer. La consommation de viande et autres aliments d’origine animale ne doit pas être éliminée, mais il faudrait la réduire. Bref, les véganes ont en partie raison.

 

Par contre, que le véganisme devienne explicitement considéré comme une caractéristique pour laquelle on est protégé, mise sur le même pied qu’une option religieuse, est selon moi un problème, et je vais expliquer pourquoi. Bien entendu, la liberté de conscience implique – entre autres choses – qu’on ne doit pas discriminer quelqu’un parce qu’il est végane, et je suis d’accord avec cela. Mais revendiquer des droits particuliers en tant que véganes, c’est perdre de vue qu’on n’est pas végane pour soi-même, mais pour autrui.

 

Avant de m’expliquer, il convient de faire quelques précisions. J’admets que certains véganes ont un discours dogmatique et font reposer leurs convictions sur des prémisses inexactes ou incertaines. Cela peut être agaçant.

 

Cependant, les sophismes et la mauvaise foi de ceux qui ne veulent surtout pas qu’on remette en question leurs habitudes alimentaires, notamment celle de manger de la viande, du poisson, des œufs et des produits laitiers à volonté, m’énervent beaucoup plus que le dogmatisme de certains véganes.

 

Combien de fois ai-je vu des gens invoquer qu’après tout, les loups, ou encore les lions, mangent bien de la viande, eux. Oui...est-ce que tout ce que font les loups ou les lions est automatiquement moral de la part d’un être humain ? Bien sûr que non, et je suis certaine que tous ceux qui invoquent cet argument fallacieux en ont parfaitement conscience, bien qu’ils l’oublient temporairement quand vient le temps de se justifier dans leurs habitudes alimentaires.

 

Il y a aussi la prétention que « nous autres », notre alimentation est naturelle ; si les véganes veulent choisir une façon de s’alimenter influencée par des valeurs spéciales, c’est leur affaire, mais qu’ils n’imposent pas ça aux autres ; après tout, chacun est libre de ses choix. Cette position est critiquable à plusieurs égards.

 

Premièrement, quelle que soit la façon de s’alimenter, elle implique des choix orientés plus ou moins consciemment par des valeurs, qu’il s’agisse de valeurs morales ou de valeurs culturelles.

 

Mais je veux surtout insister sur un autre aspect critiquable de la position énoncée deux paragraphes plus haut : la place, non pas simplement centrale, mais pratiquement exclusive qui est donnée au principe de liberté individuelle – pour les humains seulement. « Pourquoi les véganes veulent-ils toujours convaincre les autres ? Pourquoi ne peuvent-ils pas manger comme ils veulent et laisser les autres manger comme ils veulent ? » demande-t-on souvent, parfois avec exaspération.

 

Pourquoi ? Parce qu’il ne s’agit pas de « manger comme on veut ». Les véganes ne sont pas véganes pour eux-mêmes, mais selon des considérations qui dépassent leur petite personne, notamment le respect ou le bien-être des animaux et le souci pour l’environnement.

 

La liberté individuelle des humains est un principe important. Mais aucun principe n’est absolu. Tous les principes moraux, et même légaux, doivent être mis en balance avec d’autres principes. Il faut trouver un équilibre entre les divers principes. Si imposer le véganisme n’est certainement pas la bonne solution, manger en ne tenant compte que de ses préférences sans s’interroger sur les impacts de nos choix alimentaires ne l’est pas non plus.

 

Certains pourraient avoir envie de me rétorquer que les véganes font du respect des animaux le principe absolu, sans prendre en compte les autres facteurs importants quand on s’interroge sur l’utilisation qu’on fait des animaux. Je ne leur donnerais pas entièrement tort. Mais ça ne vaut pas mieux de faire de la liberté individuelle des humains un principe absolu. D’ailleurs, les véganes que je lis et côtoie ne font pas du respect des animaux un principe absolu : ils considèrent que le véganisme est l’option la plus éthique dans les circonstances dans lesquelles eux-mêmes vivent, mais pas que le véganisme est à imposer de façon universelle et intemporelle.

 

Pour en revenir à mon sujet principal, voici pourquoi je suis en désaccord avec l’idée de faire protéger les véganes dans leur véganisme, comme on protège les religieux au nom de la liberté de religion : c’est justement parce qu’on n’est pas végane pour soi, mais pour des raisons qui dépassent notre personne. Or demander d’être accommodé, protégé en tant que végane, en mettant explicitement le véganisme sur le même pied que les religions, suggère justement qu’on est végane pour soi-même (pour des raisons spirituelles, des raisons identitaires, etc.).

 

Demander des accommodements en tant que végane, c’est suggérer qu’il s’agit de respecter les véganes, et non de faire cesser la cruauté envers les animaux et de préserver l’environnement. C’est confirmer dans leur conception ceux qui disent : « Mange comme tu veux, moi je mangerai comme je veux, et tout le monde sera content! »

 

Bref, si on sortait un peu de l’individualisme outrancier, malheureusement trop fréquent, et qu’on cherchait à établir des options qui laissent une marge de liberté individuelle tout en tenant compte du bien commun, des animaux et de l’environnement?



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