Que faire avec les enseignants non légalement qualifiés ?

Par: Marie-Elaine Boucher

Le mardi 10 septembre dernier, Loïc Tassé a écrit une chronique dans le Journal de Montréal intitulée Une pénurie artificielle de professeurs dans laquelle il relate la situation de nombreux spécialistes de disciplines enseignées au secondaire qui n’ont pas de brevet en mains : ceux qu’on surnomme les non-légalement qualifiés (NLQ) dont je fais partie.

Cette lecture m’a mitigée, puisque, d’une part, je suis une NLQ qui souhaite que son dossier soit régulé et, d’autre part, le mépris envers les enseignants du secondaire issus des facultés des sciences de l'éducation qui ont leur brevet dont fait preuve M. Tassé m’horripile au plus haut point.

Je vous explique ma situation (situation dans laquelle des centaines voire des milliers d’enseignants à travers le Québec sont plongés) : j’ai un baccalauréat en Études françaises, une maîtrise en Études françaises, 54 crédits sur 60 d’une deuxième maîtrise, celle-ci est en enseignement du français au secondaire. J’enseigne depuis déjà 17 ans : 4 ans au cégep en littérature et 13 ans au secondaire en français langue première. Malgré tout mon bagage, je n’ai pas encore accès à la liste prioritaire qui mène aux postes permanents, car je ne possède pas de brevet d’enseignement. Les enseignants non légalement qualifiés ont la possibilité d'avoir un permis temporaire d'enseignement pendant 5 ans (renouvelable 2 fois pour 2 ans et une fois pour un an). Ce permis temporaire leur permet d'avoir accès à la liste prioritaire jusqu'à ce qu'il vienne à échéance à la condition de terminer leur maîtrise qualifiante en 5 ans (nous n'avons plus la possibilité de faire un certificat en pédagogie dans les universités du Québec, seule la maîtrise qualifiante en enseignement au secondaire est offerte au Québec) et d'avoir ainsi un brevet. Mes 5 années sont passées et je n'ai pas l'intention d'écrire un deuxième mémoire. 

Des enseignants dans ma situation, il y en a beaucoup plus que vous ne le pensez. Il est évident que plusieurs ne termineront pas leur carrière en enseignement ou ne choisiront pas l’enseignement au secondaire étant donné la précarité de l’emploi. Ne pas avoir accès à la liste prioritaire, qui assure une stabilité aux enseignants ayant leur brevet, vient peser très lourd dans la balance. Pourtant, je suis surqualifiée pour enseigner au secondaire et on me refuse l’accès à un emploi stable. Sachez que des jeunes diplômés sortant fraîchement de l'université avec un brevet se retrouveront devant moi sur la liste et auront accès à la liste prioritaire alors qu'ils n'ont ni mes études ni mon expérience. D'autant plus que plusieurs de ces jeunes ne sont pas encore parents contrairement à moi qui élève ma fille de 11 ans seule. Ils n'ont donc aucune expérience en éducation autre que leurs trois ou quatre stages.

Il y a de cela quelques décennies, les spécialistes comme moi, au Québec, pouvaient compléter un certificat en pédagogie dans une université québécoise et ils obtenaient leur brevet. Malheureusement, ce n’est plus le cas. Nous devons passer par l’Université d’Ottawa, notamment, afin de suivre ce certificat.

Il serait temps que le ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec, M. Jean-François Roberge, ainsi que la ministre déléguée à l'Éducation, Mme Isabelle Charest, se penchent sur la situation des enseignants non légalement qualifiés. Retenir ces enseignants dans le milieu de l’éducation en leur donnant par exemple accès à la liste prioritaire serait déjà un bon moyen de garder ces spécialistes dans les rangs des écoles secondaires.

Je comprends que les cours de pédagogie soient importants. Les ministres pourraient exiger que le certificat en pédagogie soit revalorisé et soit une option pour les spécialistes NLQ. Ils pourraient demander aux universités québécoises la possibilité d’offrir ce certificat. Les écoles secondaires ne peuvent pas se passer des spécialistes non légalement qualifiés, puisqu’il y a un manque criant d’enseignants et que les NLQ sont des spécialistes dans leur discipline respective. Je défie n’importe quel enseignant de français au secondaire ayant un brevet à tester ses connaissances sur la langue française avec moi (orthographe d’usage, grammaire, syntaxe, ponctuation, lexique), son évolution (ancien, moyen et français contemporain, nouvelle orthographe, nouvelle grammaire) et l’histoire de la littérature qu’elle soit française ou québécoise.

Jusqu’ici, j’abonde dans le même sens que Loïc Tassé. Nous sommes aussi en droit de nous demander si « le corporatisme des facultés de l’éducation » a vraiment les intérêts des élèves à cœur. Toutefois, mépriser les enseignants qui sont formés par le programme des sciences de l’éducation est, selon moi, à proscrire. Je les côtoie depuis 13 ans, ces enseignants ayant leur brevet, et il ne me passerait pas par la tête de les rabaisser ou de douter de leurs compétences. Ces gens tout comme moi ont à cœur la réussite de leurs élèves. Il est cependant vrai de mentionner que ces enseignants n’ont pas reçu toute la spécialisation sur la langue française que j’ai acquise lors de mon baccalauréat et de ma première maîtrise en Études françaises. Cela n’en fait pas pour autant des médiocres. Travailler en collégialité est le propre de l’enseignement secondaire. C’est ainsi que ces enseignants me donnent des conseils sur la partie pédagogique de mon enseignement (surtout au début de ma carrière d’enseignante, avant que je commence ma deuxième maîtrise qui traite de pédagogie et de didactique) et que je deviens, pour ces derniers, une référence en matière de langue française étant donné tout mon bagage universitaire.

Les enseignants ayant un brevet sont autant qualifiés pour enseigner le français que moi, je le suis. Ce n’est certainement pas en classant les enseignants en deux groupes, les spécialistes (NLQ) et les médiocres (enseignants ayant un baccalauréat en enseignement au secondaire), que le problème se règlera. Nous travaillons en équipe pour le bien-être de nos élèves, pour leur réussite. Nul besoin de bomber le torse pour savoir qui est mieux formé pour enseigner telle ou telle matière. Les enseignants, autant les NLQ que ceux issus des sciences de l'éducation, ont un tronc commun de connaissances et de compétences acquises et développées notamment par nos études universitaires, (il en va de soi, car sinon, nous ne pourrions enseigner le programme de formation de l'école québécoise), mais un peu de reconnaissance ne serait pas de refus. Les enseignants non légalement qualifiés sont les laissés-pour-compte de tous les enseignants. 

 

 




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