Le jugement de fait

Par: Annie-Ève Collin

« Un jugement de fait, c’est quelque chose qu’on peut vérifier par expérience et qui rallie tout le monde, un jugement de valeur, c’est subjectif, c’est une question d’opinion personnelle. » entend-on souvent. Si simple...et comme bien souvent, quand c’est aussi simple, c’est que c’est erroné.

 

Sam Harris a longuement développé, dans son livre The Moral Landscape, sur son idée que les jugements de valeur sont somme toute un certain type de jugement de fait. « La cigarette est mauvaise pour la santé. » est un jugement de valeur – ça ne pourrait pas être plus évident, dire que quelque chose est mauvais relève de l’évaluation – mais c’est AUSSI un jugement de fait : c’est entièrement objectif.

 

Sam Harris explique fort bien en quoi les jugements de valeur sont objectifs et je n’aurais pas la prétention de faire mieux que lui dans un billet de quelques paragraphes. Je prendrai plutôt quelques lignes pour m’objecter à la proposition suivante : « Pour que ce soit un jugement de fait, il faut que ça puisse être vérifié empiriquement. »

 

Un jugement de fait, est un jugement qui est entièrement objectif, c’est-à-dire dont la véracité ne dépend aucunement de la subjectivité de qui que ce soit. Les faits existent indépendamment de nous, qu’on soit capable de les connaître ou de les vérifier ou pas. On ne peut donc pas faire de notre capacité cognitive la condition pour admettre qu’un jugement porte sur une question factuelle.

 

Je pars d’un point de vue réaliste. On parle ici de réalisme philosophique, c’est-à-dire le fait de poser qu’il existe une réalité objective, et qu’on est capable de la connaître en partie. Le réalisme philosophique fait partie des positions philosophiques à la base de la science. Si on ne partait pas avec l’a priori qu’il existe une réalité objective et qu’on peut la connaître partiellement, il ne servirait à rien de faire de la science, puisque toute l’entreprise scientifique a pour but d’accroître la connaissance du réel (tout en ayant conscience qu’on ne le connaîtra jamais entièrement et que nos théories seront toujours approximatives).

 

Un jugement de fait peut être faux. Quand on se prononce sur la réalité, on peut se tromper. Dans de nombreux cas, grâce à des expériences, on peut vérifier, trancher les questions factuelles. Mais pas dans tous les cas. C’est ici qu’il importe de distinguer subjectivité et incertitude. Qu’on ne sache pas si un jugement est vrai ou faux, ne veut pas dire que la réponse dépend de chacun, autrement dit, que la réponse est subjective. Ça veut plutôt dire qu’on ne connaît pas la réponse.

 

Pour illustrer : « Les asperges sont délicieuses. » : voilà un jugement subjectif. Elles sont délicieuses pour qui prend plaisir à en manger, elles ne le sont pas pour qui n’a aucun plaisir à en manger. Il s’agit d’un jugement de préférence qui peut être vrai ou faux selon l’expérience de chacun. Ici, on parle de subjectivité, et non d’incertitude.

 

Par contre, quand il s’agit de jugements tels que : « Il existe des formes de vie extraterrestres. », ou encore « Dieu existe et Jésus était son fils. », aucune subjectivité n’est impliquée quant à savoir si c’est vrai ou faux. Qu’on n’ait pas les moyens de vérifier (pour le moment ou pour toujours) ne signifie pas qu’on peut décider subjectivement de si c’est vrai ou faux.

 

Quand un jugement est vrai ou faux de façon objective, c’est un jugement de fait, peu importe qu’on soit capable ou non de vérifier s’il est vrai ou faux.



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