Aujourd’hui, j’ai décidé de réagir au
billet de Mathieu Bock-Côté (https://www.journaldemontreal.com/2019/04/13/a-la-defense-de-blanche-neige?fbclid=IwAR13s7nNd7X6o-KlvOcsH92inxE7E9quDpZKVjwgth2v3W6GZV5JPIIXiWc),
« À la défense de Blanche-Neige » publié dans Le journal de Montréal, le samedi 13 avril 2019. Billet dans lequel
M. Bock-Côté nous apprend qu’il y eut « la
publication d’une étude universitaire britannique dénonçant... les dessins
animés de Walt Disney! Blanche neige, La belle et la bête, Aladdin et Le roi
lion sont notamment ciblés. […] En d’autres mots, il faudrait considérer ces
œuvres comme autant d’instruments de propagande devant faire la promotion de la
vision recommandée de la société, sans quoi on aura la tentation de les
proscrire. »
Je tiens à préciser
d’emblée que je suis enseignante de français et de littérature depuis déjà 17
ans (tant au secondaire qu’au cégep). Je possède un baccalauréat en Études françaises
(2000) et une maîtrise en Littératures de langue française (2007) de l’Université
de Montréal. J’ai étudié et enseigné les contes, et je continue de les étudier
et de les enseigner.
En lisant le billet
de MBC, je suis tombée de ma chaise. Il me faut rectifier des faits. En premier
lieu, je vous expliquerai ce qu’est un conte merveilleux, quelles en sont ses
caractéristiques. Ensuite, j’aborderai le thème, les valeurs et la morale du
conte merveilleux. Puis, je ferai un bref historique du conte et de son
véritable public-cible tout en y faisant un parallèle avec Disney.
Qu’est-ce qu’un conte merveilleux ?
Quelles en sont les caractéristiques ?
- Il s'agit d'un court récit fictif situé dans un temps et un lieu irréels (Il était une fois, dans un lointain royaume…) : on ne doit jamais nommer une époque claire ou un lieu connu.
- Dans un conte merveilleux, tout est
possible, mais on doit respecter le fait que l'histoire se déroule il y a très
longtemps (anachronisme) et qu'il s'adresse maintenant, depuis 200 ans, dans la
société occidentale, à un public plus jeune.
- Le personnage principal est vu
comme un héros ou une héroïne : plongé dans une situation difficile (perte,
méfait, abandon…), il traversera des épreuves dangereuses qu'il franchira avec
succès grâce à ses aptitudes personnelles et à des éléments surnaturels. Le
personnage est désigné par son rôle dans l’histoire. C’est la raison pour
laquelle le personnage principal du conte merveilleux répond davantage à des
stéréotypes. Par conséquent, son aspect psychologique est très peu développé.
- L'élément le plus important du
conte : tout est bien qui finit bien! Non seulement le héros gagne toujours
contre le mal, mais, de plus, il reçoit une récompense (quelque chose de plus).
Retour à l'équilibre + gain. Oui, le conte merveilleux est implacable avec les
femmes. Ce sont souvent elles le gain ou la récompense. Le héros gagne le droit
de marier la princesse, de vivre heureux et de fonder une famille.
Qu’est-ce qu’un thème ? Des valeurs ? Une morale ?
Thème : le sujet ou propos principal du texte. Il représente ce dont il est
question dans l'histoire (dans le conte). Un conte peut présenter plusieurs
thèmes tout aussi importants les uns que les autres. Afin de trouver le thème,
nous nous devons de le dégager du texte en lisant entre les lignes, en se
posant des questions telles que "Quelle
est l'intention qui se cache derrière la quête du héros?" ou "
Pourquoi tient-il à atteindre ce but précisément?" ou bien encore
"Autour de quoi gravitent les actions principales de l'histoire?". Bref,
il suffit de trouver ce qui motive l'histoire et les personnages qui la
composent.
Des thèmes souvent abordés :
- la vie (le désir de vivre)
- la mort
- l'amour
- l'amitié
- la liberté
- la vengeance
- la souffrance
- le courage
- la richesse
- la persévérance
Les éléments qui permettent de repérer
le thème dans une histoire :
(situations dans lesquelles se
trouvent les personnages, leurs pensées et leurs gestes)
1- Les valeurs
Ce qui inspire ou guide les
personnages dans l'histoire ; leurs croyances, leurs convictions. Exemple :
argent, beauté, amitié, justice.
2- La morale
Étant donné que tous les contes merveilleux
se finissent bien (en théorie… avec Disney), ils présentent, dans leur fin
heureuse, une leçon de vie. Cette
leçon est généralement dessinée tout au long du récit, mais se précise clairement
à la fin de l'histoire.
Par exemple avec le conte Peter Pan
Peter Pan :
- thème : jeunesse, liberté (ce
pourquoi Peter veut se débarrasser de Crochet)
- valeurs: famille, amitié, amour
- morale : L'important, c'est de
rester jeune dans son cœur.
En résumé, le conte est :
- imaginaire
- invraisemblance acceptée
- personnages définis par leur rôle
et des stéréotypes
- fin heureuse
- présente une morale
Bref historique du conte merveilleux et de son public-cible
Le conte est un récit qui existe depuis des millénaires et qui se
transmet par l’oralité. C’est la raison pour laquelle il existe plusieurs
versions d’un même conte. Au départ, les contes sont des histoires qui s’adressent
davantage aux adultes. Depuis la Renaissance, les contes se transmettent par
écrit et compte tenu de leur codification, ils sont l’objet d’études
spécifiques.
Je vous présente 2 de ces études : la Morphologie du conte
de Vladimir Propp (1928) et la Psychanalyse des contes de fées de
Bruno Bettelheim (1976).
1- Vladimir
Propp
Dans son ouvrage la Morphologie du conte (1928), surtout
intéressé par les problèmes de description et de classification des contes,
Propp s'attache à en dresser la morphologie, c'est-à-dire « l'étude des
formes et l'établissement des lois qui (en) régissent la structure ». À
cette fin, il examine les régularités qui apparaissent dans une centaine de
contes russes et entreprend de dégager les éléments de contenu abstrait qui
leur sont communs.
À la suite d'une rigoureuse analyse,
Propp arrive à la conclusion qu'il n'y a que 31 fonctions dans le
conte traditionnel russe et que celles-ci couvrent tout l'éventail des actions
significatives à l'intérieur des contes. Bien qu'elles ne soient pas toutes
présentes dans tous les récits, tous les contes analysés présentent ces fonctions
selon une séquence invariante :
1. Éloignement ou Absence
2. Interdiction
3. Transgression de l'interdit
4. Interrogation (du vilain par le héros
/ du héros par le vilain)
5. Information (sur le héros / le
vilain)
6. Tentative de tromperie
7. Le héros se laisse tromper
8. Le vilain réussit son forfait
(séquestrer, faire disparaître un proche du Roi ou du héros)
9. Demande est faite au héros de réparer
le forfait
10. Acceptation de la mission par le
héros
11. Départ du héros
12. Mise à l'épreuve du héros par un
donateur
13. Le héros passe l'épreuve
14. Don : le héros est en possession
d'un pouvoir magique
15. Arrivée du héros à l'endroit de sa
mission
16. Combat du héros et du vilain
17. Le héros reçoit une marque (blessure,
anneau, foulard)
18. Défaite du vilain
19. Résolution du forfait initial
20. Retour du héros
21. Le héros est poursuivi
22. Le héros échappe aux obstacles
23. Arrivée incognito du héros
24. Un faux héros/vilain réclame la
récompense
25. Épreuve de reconnaissance du héros
26. Réussite du héros
27. Le héros est reconnu grâce à sa marque
28. Le faux héros/vilain est découvert
29. Le héros est transfiguré
30. Le vilain est puni
31. Le héros épouse la princesse / monte
sur le trône
2-
2- Bruno Bettelheim
The Uses of Enchantment, traduit en français sous le
titre Psychanalyse des contes de fées, est un livre de Bruno
Bettelheim (1976). Selon l’auteur, il a « été écrit pour aider les
adultes, et plus spécialement ceux qui ont charge d’enfants, à comprendre
l'importance des contes de fée ».
À travers plusieurs contes populaires tels que Blanche-Neige ou La Belle et la Bête, Bettelheim y analyse le contenu psychanalytique des
contes pour enfants, s'attachant en particulier à de grands thèmes comme le
complexe d’Œdipe ou encore la rivalité fraternelle chez les enfants. Il montre
comment ces contes répondent aux angoisses des enfants en les informant sur les
épreuves à venir et les efforts à accomplir avant d'atteindre la maturité. Il
met en perspective différentes versions des contes et montre quelles sont
celles qui correspondent le mieux à la structuration psychologique de l'enfant.
Ainsi, telle version des Trois Petits
Cochons permet au jeune enfant d'intégrer la nécessité, pour grandir, de
passer du principe de plaisir (régi par la prévalence du monde imaginaire, de
la toute-puissance infantile) au principe de réalité (régi par les contraintes
de la vie quotidienne, liées à la socialisation) ; ce que ne permettent
pas, d'après Bettelheim, d'autres versions.
Après la mort de Bettelheim, Alan Dundes fait savoir qu'une
partie de cet ouvrage est très proche de certains chapitres entiers de A
Psychiatric Study of Myths and Fairy Tales: their origin, meaning, and
usefulness, un ouvrage de Julius Heuscher publié en 1963, beaucoup moins
diffusé.
Les multiples lectures et relectures que l’on peut faire d’un conte
Les contes sont loin d’être exempts de
toute critique. Ils sont le reflet des peurs d’une société ou de ses
questionnements, tout comme les légendes et les mythes le sont aussi.
Tout le monde connaît le conte du Petit Chaperon rouge. La lecture plus
propre de ce conte est d’aviser les enfants de ne pas parler aux étrangers.
Toutefois, certaines versions du même conte nous permettent une relecture plus
noire de l’histoire.
En effet, dans le paragraphe de moralité de Charles Perrault, le conte du Petit Chaperon rouge ne fait pas qu’aviser les enfants de ne pas parler aux étrangers, mais le conte serait un pamphlet incendiaire contre les prédateurs sexuels :
« MORALITÉ
On
voit ici que de jeunes enfants,
Surtout de jeunes filles
Belles, bien faites, et gentilles,
Font très mal d’écouter toute sorte de gens,
Et que ce n’est pas chose étrange,
S’il en est tant que le Loup mange.
Je dis le Loup, car tous les Loups
Ne sont pas de la même sorte ;
Il en est d’une humeur accorte,
Sans bruit, sans fiel et sans courroux,
Qui privés, complaisants et doux,
Suivent les jeunes Demoiselles
Jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles ;
Mais hélas ! qui ne sait que ces Loups doucereux,
De tous les Loups sont les plus dangereux. »
Avouez que vous ne verrez plus jamais le conte du Petit Chaperon Rouge de la même façon.
Imaginez si Disney présentait cette version aux enfants !
Conclusion
Nombre des contes véhiculés par le
bouche-à-oreille ont fait l'objet, depuis la Renaissance, de collectes et de
réécritures par des écrivains. Ces démarches figent ces histoires dans une
version donnée, et les transforment en objets appartenant au domaine de la
littérature écrite. Cela amène les écrivains à se détacher peu à peu des
sujets, des structures et des thèmes des contes oraux dont ils s'inspirent.
Le conte littéraire est alors un
récit court (contrairement au roman ou à l’épopée), dans lequel les
actions sont racontées (et non représentées comme au théâtre).
Selon A. Vial, on peut qualifier de
conte « tout récit qui atteste de la part de l'écrivain l'intention
d'isoler dans la multitude des traits qui constituent un événement ou le destin
d'une personne, un élément et de déblayer au profit de cet élément
unique ».
Le terme de conte littéraire n'est
donc pas synonyme de conte de fées ou de littérature exclusivement enfantine,
contrairement à ce que son caractère volontiers fantaisiste et invraisemblable
laisse souvent penser.
Cette forme littéraire peut adopter
des contenus très diversifiés ; elle ne vise pas nécessairement à
émerveiller le lecteur, mais peut également vouloir l'édifier (conte moral, allégorique),
l'effrayer (conte d'horreur), l'amuser (conte satirique), etc.
Pourquoi chercher à les censurer ?