Dans la foulée de la controverse de Nadia El-Mabrouk et sa
soi-disant transphobie, on a entendu une accusation qui est portée chaque fois
que quelqu’un remet en question l’idéologie mise de l’avant par les militants
LGBTQ (à distinguer des personnes homosexuelles, bisexuelles et transsexuelles)
: on a accusé El-Mabrouk de nier l’existence des personnes trans, ou encore de
nier la réalité trans. C’est ce que lui reproche Maxime Vinet-Béland dans
un billet paru dans le Devoir du
29 janvier.
Vinet-Béland reproche à El-Mabrouk d’avoir
« mégenré » une personne de 14 ans en disant d’une fille trans
qu’elle est en fait un garçon. Il définit « mégenrer » comme le fait « d’accorder
le mauvais genre à une personne ». Or, il est possible qu’El-Mabrouk,
comme beaucoup de gens, notamment comme tous les signataires de cette lettre,
utilise les mots fille et garçon en considérant qu’ils réfèrent au sexe des
personnes et non à leur genre. Si tel est le cas, alors elle n’accordait de
genre à personne. Comment peut-on l’accuser de mégenrer quelqu’un, sinon en attribuant
un sens à son discours tout en négligeant qu’il est très probable qu’il ait un
autre sens ?
Revenons à l’accusation de nier la réalité trans : dire
qu’une femme trans est en réalité un homme ne revient pas à dire que les
personnes trans n’existent pas. Ça revient plutôt à dire qu’il n’existe pas de
personnes qui sont objectivement des femmes dans un corps d’homme. On ne peut
pas nier le ressenti d’une personne trans née garçon mais s’identifie au genre
féminin : seule la personne sait ce qu’elle ressent. Par contre, quand on affirme
qu’on EST une fille dans un corps de garçon, ou encore qu’il existe
objectivement des personnes qui ont un corps d’homme mais qui sont en réalité
des femmes, on ne parle plus du ressenti lui-même ; on tire une conclusion à
partir de ce ressenti. Et cette conclusion est factuelle : il importe ici
de distinguer les énoncés de fait des énoncés de préférence.
On peut remarquer que Vinet-Béland ne distingue pas les deux
types d’énoncés lorsqu’il écrit : « En 2019, inviterions-nous dans
notre colloque un quelconque individu affirmant que les personnes homosexuelles
n’existent pas, qu’elles ne sont que des hétéros qui ont besoin
d’aide ? » Les personnes homosexuelles, en se disant homosexuelles,
affirment une préférence qu’elles ont, celle d’avoir des rapports sexuels et
amoureux avec des personnes de même sexe qu’elles-mêmes plutôt qu’avec des
personnes de l’autre sexe.
Il importe de bien comprendre : dire que l’homosexualité
est une préférence ne signifie aucunement que l’on choisit d’être homosexuel. On
peut faire des choix en fonction de ses préférences, mais on ne peut pas
choisir ses préférences. Ça ne signifie pas non plus que l’homosexualité est un
simple caprice : parmi les préférences d’une personne, certaines sont futiles
– de son propre point de vue – alors que d’autres prennent une grande
importance pour elle, au point qu’elle n’envisagerait pas d’y renoncer, ni même
de les laisser de côté temporairement. Pour certaines préférences, on va jusqu’à
en faire des éléments fondateurs de notre identité, ce qui veut dire qu’on leur
accorde une importance particulièrement grande. Cela ne change pas que ce sont
des préférences.
Nous en arrivons au point principal : les préférences d’une
personne, quelle que soit l’importance qu’elles ont pour elle, ne reposent sur
rien d’autre que sur ce qu’elle ressent. L’homosexuel n’a pas à invoquer autre
chose que son ressenti pour justifier l’affirmation qu’il est homosexuel. Par
contre, les personnes trans qui affirment, non pas simplement ressentir
l’identification au sexe opposé, ou au genre associé au sexe opposé, mais bien
ÊTRE du sexe opposé, ne font pas un énoncé de préférence, mais un énoncé de
fait. Un énoncé de fait, contrairement à un énoncé de préférence, ne repose pas
sur le ressenti subjectif d’une personne, même si l’énoncé de fait porte sur la
personne elle-même. L’analogie de Vinet-Béland ne tient donc pas la route.
Il est également à noter que dire qu’une femme trans est en
réalité un homme n’implique pas que l’on nie les droits des personnes trans. On
peut tout à fait appuyer certains accommodements offerts aux personnes trans, appuyer
la protection, pour ces personnes, des mêmes droits et libertés que pour tout
le monde, s’opposer à la violence et au harcèlement envers elles, ainsi que
reconnaître leur droit d’agir pour leur propre bien en fonction du ressenti
qu’elles expriment, sans pour autant admettre la conclusion factuelle que
certains tirent en prenant ce ressenti pour prémisse.
Nous, signataires de la présente lettre, ne nions pas
l’existence des personnes trans, ni leur ressenti, ni leurs droits même si nous
considérons que le sexe est une réalité objective et utilisons les mots fille,
garçon, femme et homme en considérant qu’ils distinguent les êtres humains
selon leur sexe et non selon leur genre. En ce qui concerne Nadia El-Mabrouk,
ou n’importe qui d’autre affirmant quelque chose de semblable à ce qu’elle a
affirmé, il faut au moins envisager que leur position soit celle que nous,
signataires, défendons, avant de lancer l’accusation – autrement gratuite – de
négation de l’existence ou des droits des personnes trans.
Rédigé par Annie-Ève Collin, philosophe
Signé par :
Marie-Élaine Boucher, enseignante et membre de l’Alliance des
professeures et professeurs de Montréal
Christiane Gervais, féministe et laïque
Guy Perkins, blogueur
Frédéric Pageau, animateur de l’émission web La liberté n’est pas à vendre
François Cardinal, responsable du démarrage, Machinex
Louis Robichaud, artiste, membre du Mouvement laïque
québécois
Carl Boileau, ancien conseiller municipal et militant laïc
Sébastien de Crèvecoeur, consultant en art et ancien
professeur de philosophie
Alexandre Gauthier, bachelier en psychologie et étudiant en
criminologie
David Saucier, responsable des opérations, Belmag Inc
François Dugré, enseignant en philosophie
Anders Turgeon, étudiant en communications à la TÉLUQ
Francine Maggio, citoyenne
Jean-François Guay, auteur et designer graphique
Evan Demers, technicien de scène
Olivia Pelka, femme au foyer et blogueuse
Hélène Da Silva, féministe
Benoît Séguin, enseignant en littérature au cégep
Diane Beaulieu, bachelière en science de l’éducation
Monique Paquet, citoyenne
Andrée Deveault, professeure retraitée
Steve Grandlair, entrepreneur et militant pour la laïcité
Marc-Olivier Blondin-Provost, enseignant
Anne-Marie Bilodeau, juriste
Anne-Emmanuelle Lejeune, féministe et enseignante de français
Leila Lesbet, membre de l’Association québécoise des
Nords-Africains pour la laïcité (AQNAL)
Françoise Rioux, enseignante retraitée
Caroline Morgan, citoyenne
Sylvain Meunier, écrivain
Marc Chapleau, soutien technique informatique, narrateur et
citoyen constituant
Chanelle Brunette-Morin, électromécanicienne
Aude Exertier, avocate et féministe universaliste
Martin Paquette, entrepreneur web et indépendantiste
Serge Charbonneau, analyste médiatique
Jimmy Dubé, musicien
Roméo Bouchard, L’Aut’ gauche
Genevyève Delorme, essayiste et éditrice féministe
Robert Duchesne, infirmier à la retraite et militant
pro-laïcité
Ottilia Puiggros, militante pour les droits des femmes et la
justice sociale, doctorante
Nicole-Patricia Roy, féministe et laïque
Martine Michaud, féministe
Joanne Cool, mère et grand-mère, féministe
Martine Jeane, intervenante
Hélène Morin, retraitée du secteur communautaire
Johanne St-Amour, féministe
Ghislaine Brouilette, féministe laïque
Evelyne Abitbol, ex conseillère spéciale à la diversité. Ass. Nat.
Sandra Dunn, retraitée et militante pour la laïcité
Lorraine Lefebvre, retraitée
Andrée Yanacopoulo, docteure en médecine
Nicole Vermette, citoyenne