Assumons la laïcité

Par: Annie-Ève Collin

Dans un billet paru dans le Devoir du 11 janvier, Robert Howe écrit :


C’est bien réducteur que de ne regarder que la laïcité. Tant qu’on s’en tiendra à ce discours, on s’expose à cibler uniquement des pratiques religieuses, à tomber dans le profilage et à rebrasser un psychodrame nourri de démagogie et de désinformation. C’est très malsain. Dans le respect de l’intelligence des Québécois, évitons ce piège. Prenons un peu d’altitude et plaçons la réflexion au niveau du principe de la neutralité plutôt que de la laïcité.

Le problème avec cette position, c'est que la neutralité est impossible : rien de ce que fait l'être humain ne peut être neutre, comme je l'écrivais dans un billet précédent. Il faut assumer une fois pour toutes que la laïcité est la dissociation des institutions de l'État spécifiquement par rapport aux religions. On n'a pas à s'en excuser, il y a plusieurs raisons d'exclure les religions du pouvoir politique et des institutions.

Robert Howe ne semble pas connaître le sens des mots qu'il emploie : en particulier le sens du mot "valeur" : il affirme que les fonctionnaires, incluant les enseignants doivent être neutres sur le plan des valeurs, dans le même texte où il énumère par ailleurs des valeurs auxquelles les fonctionnaires doivent selon lui se conformer. On le constate dans le passage suivant, qui est parfaitement contradictoire : "De plus, cet employé de l'État a un devoir de réserve et de respect, tant envers la fonction qu'il exerce qu'envers le contribuable qui le paie." 

Le devoir de réserve, le respects des citoyens (plutôt que des contribuables) et de la fonction qu'on occupe sont des valeurs. Par la suite, il écrit : Afin d'exercer leur autorité morale sur leurs élèves ou étudiants, les enseignants doivent être crédibles, cohérents et impartiaux." Ça aussi, ce sont des valeurs. Elles sont justifiées dans le cadre de l'enseignement, certes, mais un parti pris justifié pour certaines valeurs n'en est pas moins un parti pris. D'autres valeurs doivent absolument être mises de l'avant dans l'enseignement : il faut valoriser l'apprentissage, la réussite scolaire, la qualité de la langue, etc.

Il est également à noter que dans les exemples qu'il énumère pour illustrer son propos, les croyances qu'il présente comme inappropriées pour un professeur, ne sont pas inappropriées parce que non neutres, mais parce qu'elles entrent en conflit avec sa fonction : 

Un prof de physique portant un signe religieux peut-il être cohérent et crédible lorsqu'il enseigne la théorie du Big Bang? Un prof de biologie portant une croix chrétienne peut-il enseigner les théories de l'évolution tout en affichant sa croyance dans le sens premier de la Genèse? Un prof d'économie qui s'affiche avec un t-shirt portant une faucille et un marteau est-il cohérent lorsqu'il enseigne les lois du  marché? Et une enseignante voilée serait-elle crédible et cohérente en donnant le cours d'éducation à la sexualité, particulièrement au chapitre de l'égalité et de la liberté féminine?

Tiens : l'égalité et la liberté féminine sont aussi des valeurs. Howe suggère qu'à l'école, on doit donner priorité à la science, ce qui est aussi une valeur, un parti pris. C'est un parti pris qui ne pourrait pas être plus justifié, certes, mais c'est un parti pris.

Il écrit même : "Les articles 10, 11 et 16 prescrivent aux fonctionnaires la neutralité politique dans l'exercice de leurs fonction et la réserve dans leur vie privée. De plus, la loi prévoit la possibilité de mesures disciplinaires "pouvant aller jusqu'au congédiement" en cas d'accroc à ces normes d'éthique et de discipline." Des normes d'éthique! Il pourrait difficilement être plus clair qu'il s'agit de valeurs. D'ailleurs, on peut remarquer qu'on parle spécifiquement de neutralité politique : le fonctionnaire ne doit pas montrer de parti pris pour un parti politique. Ça c'est possible. Cependant, il n'y a pas neutralité complète, même sur le plan politique : le fonctionnaire doit respecter les principes de l'État de droit, et ce dernier est une option politique. La meilleure, peut-être bien, mais cette option n'est pas plus neutre que ses alternatives.

La neutralité à l'égard d'un domaine en particulier, dans un contexte précis est possible, mais la neutralité complète n'est jamais possible, pour la bonne raison que l'humain ne peut agir que conformément à certaines valeurs ou certaines préférences. En agissant, on favorise des options que l'on valorise plus que d'autres. 

Cessons d'être gênés de prôner la laïcité. Il est justifié d'exclure les religions du pouvoir politique et des institutions pour plusieurs raisons : 
- les religions sont une source de division et de conflits ;
- les religions impliquent des croyances métaphysiques qui ne sont pas prouvées et dont beaucoup peuvent même être réfutées ; 
- les religions prescrivent des règles discriminatoires (envers les femmes et les homosexuels notamment).
On n'a aucun besoin de poursuivre l'objectif inatteignable d'un État et d'institutions complètement neutres pour ne pas avoir à se sentir coupables de vouloir un État et des institutions laïques. En soi, la laïcité n'est même pas neutre ; elle est effectivement un parti pris en faveur du rejet des religions dans la sphère publique. C'est un parti pris justifié dont on n'a pas à être gêné.

 




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