La tenue de Catherine Dorion

Par: Annie-Ève Collin

Selon certains, Catherine Dorion voulait qu'on parle d'elle, se faire remarquer, en portant la tenue qu'elle portait à l'Assemblée nationale. Eh bien parlons d'elle. Parlons de cela, précisément : son habillement. Paradoxalement, j'en parlerai pour dire qu'il n'y a pas de quoi faire un tofu (la version végane de l'expression "faire un fromage").


Il semble que ce qui est demandé à l'Assemblée nationale se limite à ceci : porter une tenue de ville. Les jeans, t-shirts, Dr Marten et tuques, semblent compris dans l'expression "tenue de ville". Selon certains, Catherine Dorion cherche à paver la voie pour que l'on accepte également les signes religieux et/ou que l'on accepte n'importe quelle tenue à l'Assemblée nationale. Cela ressemble à un sophisme de la pente fatale. Notez que je n'aurais pas d'objection à ce qu'on modifie le code vestimentaire à l'Assemblée nationale, j'en comprendrais la pertinence. Cependant, admettre une tenue comme celle de Dorion n'engage absolument pas à accepter ensuite n'importe quelle tenue, encore moins n'importe quel symbole.

D'abord, je tiens à préciser que demander aux députés une tenue neutre serait problématique, pour la bonne raison qu'il n'existe pas de tenue vestimentaire neutre. Les vêtements et les accessoires expriment toujours quelque chose, parfois implicitement, parfois explicitement. Je ne reprendrai pas l'argumentation que j'ai élaborée dans un précédent billet, auquel je me contenterai de vous renvoyer. On pourrait cependant demander une tenue plus précise, qui exprime la fonction de député et rien d'autre.

Pour l'instant, toutefois, les limites déjà prescrites ne semblent pas exclure les vêtements portés par Dorion. En quoi cela ouvre-t-il la porte à n'importe quelle tenue à l'Assemblée nationale? J'ai vu passer plusieurs exemples : devra-t-on accepter les signes anarchistes? Non, car l'anarchisme est une idéologie incompatible avec l'État que Dorion est censée représenter. Les croix gammées? L'incompatibilité avec le type d'État que Dorion doit représenter est encore plus flagrante. Elle doit représenter un État démocratique, en l'occurrence une démocratie représentative, et égalitaire : l'anarchisme et le nazisme sont deux idéologies qui contredisent les principes de base d'un tel État. La différence de traitement entre les signes de ces idéologies et une tuque ou des jeans est très facile à justifier dans le contexte de l'Assemblée nationale.

Devrait-on accepter que les députés se présentent habillés en clown, en string (sous-entendu, j'imagine, qu'on ne porte rien par-dessus le string, parce que les sous-vêtements qu'un député porte sous son pantalon ou sa jupe ne peuvent déranger personne), en maillot de bain ou en tenue de football ? J'ai un scoop pour vous : ce ne sont pas des tenues de ville. Il y a donc déjà une norme explicite qui exclut ces tenues.

Mais, diront certains, comment justifier ensuite d'interdire les signes religieux à l'Assemblée nationale, si on y accepte les tuques? Très simple : une tuque est un simple accessoire, alors qu'un couvre-chef est un symbole. Si on veut que l'État soit laïc, il est parfaitement justifié d'interdire aux députés de porter des signes religieux à l'Assemblée nationale. Une tuque ne contredit d'aucune manière le principe de laïcité.

Pour l'instant, la tenue de Catherine Dorion ne va pas à l'encontre des règles établies, et elle ne présente aucun signe, aucun symbole qui soit incompatible avec les principes de l'État démocratique, laïc et égalitaire. C'est pourquoi j'estime que sa tenue est convenable.



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