Laïcité, pas neutralité

Par: Annie-Ève Collin

Il suffit de prononcer le mot "laïcité" pour que la "chicane pogne" comme on dit en québécois. Comment définir la laïcité? Quels sont les synonymes de ce mot? On peut généralement s'entendre pour dire que la laïcité consiste en la séparation de deux pouvoirs : le pouvoir politique et le pouvoir religieux. Mais concrètement, qu'est-ce que cela implique? Selon certains (et j'en suis), la laïcité implique, entre autres choses, que ceux qui représentent l'État doivent éviter tout affichage religieux lorsqu'ils sont au travail.

Il est commun, chez les défenseurs de la laïcité, d'affirmer que les représentants de l'État doivent avoir une apparence neutre, que c'est pourquoi ils doivent éviter de laisser connaître leurs croyances religieuses par leur habillement. La faiblesse de cette affirmation - et elle est allègrement exploitée par les opposants à la laïcité - c'est qu'une apparence neutre est impossible. Rien de ce que fait l'être humain ne peut être vraiment neutre, d'ailleurs. Toute forme d'habillement communique quelque chose de plus ou moins explicite, même si plusieurs sont souvent possibles.

L'uniforme du policier n'est pas neutre, il communique quelque chose. Il ne communique que ce qui doit être communiqué aux civils qui ont affaire à lui : qu'il est policier. Mais il communique quand même quelque chose. Prenons quelque chose d'aussi banal qu'un habit avec cravate porté par un homme. Cela peut communiquer différentes choses. Allons-y avec un exemple : les différences entre les genres. S'il existe des différences biologiques entre les sexes, les êtres sociaux et culturels que nous sommes ajoutent à cela des codes, des normes sociales pour différencier les femmes des hommes, des normes dont certaines n'ont guère de fondement biologique, comme par exemple la norme qui veut qu'un habit avec une cravate soit une tenue pour hommes. L'homme qui travaille ainsi vêtu communique qu'il endosse cette norme (même en supposant qu'il n'ait pas vraiment pris conscience du fait qu'il endossait une norme associée au genre en s'habillant comme ça). L'habit avec cravate peut être interprété de plusieurs autres façons, mais l'exemple choisi a l'avantage de pouvoir être extrapolé à bien autre chose : une énorme proportion des vêtements portés par les hommes et par les femmes communiquent qu'on endosse certaines différences entre les genres associés à l'un et l'autre des deux sexes. Et quand des gens portent des vêtements attribués au genre associé au sexe opposé au leur, c'est généralement aussi pour communiquer quelque chose (le refus des normes de genre, ou autre chose).

Des symboliques sont associées aux dessins, aux formes géométriques, aux couleurs. N'importe quel habillement est le résultat d'une influence culturelle. L'humain étant ce qu'il est, il attribue même des symboliques diverses à la nudité. Ainsi, il est impossible d'avoir une apparence complètement neutre ; on peut certes faire la différence entre un t-shirt avec quelque chose d'écrit dessus et un t-shirt uni, le second pouvant être considéré comme "plus neutre" que l'autre, mais l'apparence n'est jamais complètement neutre.

Il faut affirmer la volonté d'une laïcité qui se définit comme l'exclusion de la religion de la sphère de l'État, la limitation de la religion à la vie privée. Cela a diverses implications, et ça en a notamment une sur l'apparence, sur l'habillement des représentants de l'État alors qu'ils sont en fonction : ils ne doivent afficher aucune appartenance religieuse, et ce, peu importe que le signe religieux soit porté dans le but de faire la promotion de leur religion ou non. D'une manière comme de l'autre, le signe religieux a pour effet de donner de la visibilité à une confession religieuse, d'en faire la publicité. Les fonctionnaires ne peuvent pas avoir une apparence neutre, mais ils peuvent avoir une apparence laïque.



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