Un nouveau sophisme à la mode : l'appel à la diversité

Par: Annie-Ève Collin

Georges Leroux répète souvent que la diversité est une richesse, comme si ça relevait de l'évidence. Il n'est certainement pas le seul. La diversité, quel mot magique !

"Vous êtes contre le voile islamique? Alors vous n'aimez pas qu'on soit différent de vous? Pourquoi?" 

Combien de fois des partisans de la laïcité ou des féministes se sont fait servir une variante de cette phrase? Comme si être dérangé par le voile islamique (en général, ou spécifiquement quand il est porté par une représentante de l'État dans le cadre de ses fonctions) se réduisait à ne pas aimer ce qui est différent. "Vive la diversité!" scande-t-on comme une profession de foi. On peut d'ailleurs remarquer que l'image de la femme voilée semble devenue l'emblème de la diversité : accepter la diversité, pour certains, ça semble surtout vouloir dire admettre le voile islamique dans tous les contextes.

Si les défenseurs de la laïcité veulent que le voile islamique soit interdit dans la fonction publique (ajoutons : en même temps que tous les autres signes religieux, et au même titre que les signes politiques le sont déjà), ce n'est pas parce qu'il est "différent", mais parce que c'est un signe religieux. Si les féministes universalistes s'opposent au voile islamique, ce n'est pas parce qu'il est différent, mais parce qu'il est une pratique sexiste.

On réduit couramment le rejet du voile islamique à un rejet des différences liées aux immigrants. Il est pourtant à noter que les tenues typiquement indiennes, japonaises ou chinoises ne semblent pas émouvoir grand monde. Il est même courant que des gens en achètent pour une occasion spéciale, comme leur bal de finissant, un gala, etc. Bien des tenues vestimentaires qui sont très différentes de ce qu'on est habitué de voir au Québec, et même de façon générale en Occident, ne semblent déranger personne. Ainsi, si le voile dérange autant, c'est probablement parce qu'il y a bien d'autres raisons que le fait qu'il soit porté par des immigrantes (d'autant plus que toutes les femmes qui le portent ne sont pas des immigrantes).

Il y a plusieurs arguments invoqués par ceux qui s'expriment contre le voile. Bien sûr que certains pointent le fait qu'il soit différent, en disant à peu près ceci : "T'es chez nous, habille-toi comme nous, sinon retourne dans ton pays!" Seulement, si on prend la peine d'écouter ceux qui ont une argumentation plus développée, on constate qu'il ne s'agit pas du tout de rejeter une chose parce qu'elle est différente, ni de rejeter en général ce qui vient des immigrants. Rejeter tout ce qui vient des immigrants parce que ça vient d'immigrants est certes une attitude déplorable ; prétendre que tout ce qui vient des immigrants est de ce fait au-dessus de la critique l'est tout autant.

Vive la diversité! Et c'est aussi pour ça qu'il faut admettre que quiconque s'identifie comme une femme en est une, même si c'est un mâle humain, et que c'est à chacun de déterminer subjectivement s'il est une femme, un homme ou ni l'un ni l'autre... Mais oui, le lien entre la prémisse et la conclusion est très clair...non, n'est-ce pas ?

Ceux qui me lisent savent que je suis une féministe critique du genre. Aussi bien des féministes critiques du genre que des gens d'autres allégeances persistent à considérer qu'être femme ou homme est une question de sexe, de biologie, et non de genre ou d'identité de genre. Nous sommes nombreux à ne pas admettre l'existence de "menstruateurs" (des êtres humains menstrués qui ne sont pas des femmes), d'hommes enceints (c'est drôle comme il s'agit invariablement "d'hommes trans"), de femmes avec un pénis, etc. On se fait servir la même sorte de réponse simplette : "Mais pourquoi ça vous dérange que quelqu'un soit différent de vous?"

Comme s'il s'agissait de ça ! Ce n'est pas que quelqu'un soit différent de nous qui nous fait réagir, mais qu'on essaie de nous faire admettre des aberrations, d'occulter des faits biologiques très clairs pour faire plaisir à une minorité de gens. 

Et dans le cas des féministes critiques du genre, il y a autre chose qui les dérange : l'impact qu'aurait sur les femmes le fait de changer la définition socialement admise du mot femme et d'occulter la réalité du sexe : être une femelle humaine, c'est vivre avec des situations spécifiques à ce sexe, qui impliquent des besoins, des intérêts spécifiques. Les femmes seraient perdantes si on arrêtait de le reconnaître et d'en tenir compte en tant que société.

La diversité, en soi, n'est ni bonne ni mauvaise ; il s'agit d'une catégorie logique : il y a diversité quand, dans un ensemble, il y a des différences. La différence, c'est le contraire de l'identité (identité : caractère de ce qui est identique ; ne pas confondre avec le sens utilisé par aussi bien par les nationalistes que par les autoproclamés inclusifs). Qu'une chose soit différente d'une autre ne la rend ni bonne ni mauvaise. 

Le sophisme que je nomme "appel à la diversité" consiste en ceci : répondre à quelqu'un qui critique une idée, une pratique, une façon d'agir, un système de croyances, avec des arguments développés, en le sommant tout simplement de s'ouvrir à la diversité (ou de s'ouvrir aux différences), sans aucune attention aux arguments invoqués dans sa critique. 

En ce qui me concerne, on m'a surtout servi ce sophisme pour s'objecter à ma défense de la laïcité, à mon anti-théisme (il paraît que je devrais respecter les religions parce qu'il faut s'ouvrir à la diversité), à mon opposition au voile islamique et à mes critiques de l'idéologie du genre. J'aimerais terminer ce billet en donnant quelques exemples dans lesquels l'appel à la diversité ne serait vraisemblablement pas admis par la majorité des gens, afin de bien montrer l'invalidité de cet argument.

Pourquoi ne pas enseigner la vision des flat-earthers comme alternative dans les cours de géographie? Ça ferait de la diversité. Ce n'est pas parce que leur hypothèse sur la forme de la terre est différente de celle de la majorité des gens qu'elle est mauvaise ! 

Non, en effet : elle est mauvaise parce qu'elle est fausse. Il y a quelques mois encore, j'aurais parlé de manière sarcastique d'enseigner le créationnisme comme alternative à la théorie de l'évolution, afin d'illustrer l'invalidité du sophisme d'appel à la diversité. Cependant, j'ai eu l'occasion d'apprendre que ce sophisme a convaincu des enseignants et des concepteurs de manuels pour le cours Éthique et culture religieuse que c'était une bonne idée de mettre le créationnisme, un mythe, sur le même pied que l'évolution, une théorie scientifique. Un coup parti, pourquoi pas faire pareil avec l'hypothèse de la terre plate ? Après tout, quand je m'insurge qu'on donne de la place à l'histoire d'Adam et Ève à l'école, on me répond : "Mais c'est parce qu'il y a des gens qui y croient!" À la terre plate aussi...

Dernièrement, des pédophiles se sont présentés comme une minorité opprimée en raison d'une orientation sexuelle différente. En effet, les pédophiles sont une minorité, c'est mathématique (dans un autre billet, j'avais fait remarquer que le mot minorité aussi, tout comme le mot diversité, est utilisé comme une espèce de mot magique pour couper court à tout argumentation, à toute critique). Les pédophiles sont différents de la majorité d'entre nous. Heureusement, bien peu de gens ont admis qu'il s'agit d'une différence qui enrichit qui que ce soit. Et le problème n'est pas que ce soit différent ; le problème, c'est que ça fout en l'air la vie de nombreux enfants.

Si vous ajoutez des cornichons marinés dans une salade de fruits, ça ajoutera certainement de la diversité...je ne garantis pas que ce sera meilleur en bouche par contre. Bref, je crois avoir été claire : la diversité et la différence ne sont ni des vices ni des vertus. Pointer le fait qu'une chose soit différente d'une autre, différente de ce à quoi on est habitué, ne permet ni de montrer que cette chose est bonne, ni de montrer qu'elle est mauvaise.



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