De la Politique

Par: Théo d'Hérouville-Jean-Baptiste

« Et toi, t'as voté ? »

Une question légitime considérant la baisse de la participation citoyenne à l'action politique. Regardez le taux d'abstention aux dernières présidentielles françaises ou aux dernières municipales à Montréal.

Évidemment, le peuple lorsqu'il est soumis à son devoir de voter est désemparé devant des options qui ne lui conviennent pas. Il ne s'y reconnaît jamais assez. Mais peut-être est-ce nos fondements politiques qui sont problématiques ?

Marie-Josée Lavallée, docteur en philosophie, a écrit sa thèse sur Hannah Arendt, une politologue célèbre du XXième siècle qui s'est intéressée aux impacts de la pensée platonicienne sur notre société moderne. Lavallée suppose qu'Arendt aurait dû démontrer dans ses écrits que le récit L'allégorie de la caverne de Platon est l'appropriation de la politique par un élitisme intellectuelle déconnecté de la réalité vécue par les personnes ordinaires.

Ce récit est raconté par Socrate, et rapporté par Platon dans le livre VII de La République. L'allégorie de la caverne a pour enjeu l'éducation citoyenne. Des prisonniers sont dans une grotte et font face aux reflets des ombres sur les parois. Ces ombres sont l'illusion de la réalité. Le comportement philosphique est de sortir de la grotte, dont l'ascension est particulièrement difficile.

En effet, celui qui souhaite s'échapper va se blesser à de multiples reprises, d'une part en escaladant les roches afin de sortir de la grotte, d'autre part en étant brûlé par la lumière du jour. Cette lumière est celle des Idées, et les Idées seraient ce qui organise notre monde. Elles sont représentées par l'image du ciel et celle de l'émanation du soleil. Selon Lavallée, Arendt substitue aux Idées l'éducation politique. L'Homme sage comprend la « pluralité » de l'être humain, alors que les êtres enfermés dans la grotte se soumettent aux valeurs que la société lui dicte. Ainsi, poursuivons la suggestion d'Arendt : la politique et la philosophie s'écarteraient de l'éducation citoyenne.

Au dehors de la caverne, les rayons du soleil représentent l'émanation des Idées selon Platon. Ici, nous substituons l'émanation des Idées par l'émanation de la science politique. Alors, plus nous nous rapprochons du soleil et sommes exposés à ses rayons, plus nous savons. Cependant, le soleil brûle. Sa chaleur ne peut être supportée par tous. Religieusement, le seul être au-dessus du soleil est une divinité.

Métaphysiquement, le seul être susceptible d'être pareil au soleil est le savant. Pour Platon, ce savant est philosophe, alors que selon l'interprétation de Marie-Josée Lavallée, ce savant serait politologue ou politicien. Cependant, si le politicien ou le philosophe sont égaux au soleil, alors ils sont supérieurs à la population, mais leur rôle est d'éduquer cette population. Ils doivent l'élever jusqu'à cet astre. Il ne faut pas qu'il y ait de rupture entre ces savants et le peuple.

Si les Idées, donc la science politique, sont absolues et criantes de vérité, elles fondent nécessairement notre société. Par conséquent, elles doivent être transmises dans leurs formes les plus complètes. Toutefois, la compréhension du monde qui paraît évidente découle d'une compréhension de la complexité de notre univers. Einstein disait que ce qui ne peut être dit simplement n'a pas été assez réfléchi. Le rôle de la philosophie et de la politique est de vulgariser la complexité de nos sociétés.

Dans le récit de la caverne, Platon écrit que « puisque d'une certaine manière [le soleil] est la cause de tout ce que [le prisonnier] voyait avec ses compagnons de la caverne », les personnes politiquement éveillées deviennent responsables de la vie publique des personnes qui ne le sont pas. Le citoyen doit s'engager intellectuellement pour comprendre les choses. Et les intellectuels doivent les épauler. Cependant, comme le disait Philippe Poutou, candidat du NPA (Nouveau parti anticapitaliste) lors des élections présidentielles françaises en 2017, il y a une starification de la politique.

Les politiciens, ces savants, jouissent de fonctions et d'avantages qui les déconnectent de la réalité des citoyens. Le philosophe et le politologue (ou politicien) sont intellectuellement égaux, car la philosophie peut englober les humanités politiques, et réfléchir sur les fondements des systèmes politiques. L'ascension intellectuelle devient ainsi synonyme d'ascension sociale : le philosophe peut devenir roi, comme le supposait Platon. Le politologue peut devenir politicien, et ainsi devenir roi.

Mais devenir doué est dur, et ce chemin est dicté par une élite qui privatise le savoir en faisant croire qu'il le valorise à travers une éducation populaire qui ne l'est pas vraiment. En exergue de son essai Petit guide d'autodéfense intellectuelle, le philosophe Normand Baillargeon cite Chomsky disant que si l'école nous éduquait réellement, elle nous offrirait des cours d'autodéfense intellectuelle.

De plus, la contemplation philosophique devient aussi problématique : soucieux des réalités supérieures, le philosophe n'accorde plus d'importance à des détails de la réalité plus importants pour certains. Le savoir politique ne peut être assimilé par tout le monde ou, plutôt, pas sous la forme avec laquelle il est présenté depuis des millénaires.

Assumons-le. L'héritage culturel n'est pas le même pour tous. Il faut que la science politique et la philosophie soient accessibles et compréhensibles pour tous. Selon Aristote, il faut apprendre au citoyen à suivre son instinct naturel d'animal politique. Forcer le prisonnier de la caverne à en sortir pour observer le soleil, c'est admettre, d'après l'interprétation arendtienne, que l'éveil politique est oppressant sous deux manières : la première étant que l'Homme subit les souffrances du devenir intellectuel par son désir de vouloir comprendre la pluralité politique, la seconde que la vérité politique n'est peut-être pas désirée.

L'origine étymologique du terme « politique » signifie vivre en collectivité. Ainsi, vivre dans la compréhension politique signifie vivre dans une « politique supérieure » qui se distingue d'une politique exempte de compréhension. L'aboutissement philosophique devient un aboutissement politique.

Comprendre la pluralité de l'être humain est nécessaire si l'on veut régir un système politique idéal. Mais le statut de « roi » qu'endosse l'éveillé politique ne correspond pas avec sa condition philosophique qui a pour but la contemplation et non la réalisation. À nouveau, il y a une distinction entre la philosophie, la politique supérieure et la politique.

Pour l'être éveillé politiquement, retourner dans la caverne est un fardeau, car comme il est écrit dans le récit, « il lui fau[dra] entrer de nouveau en compétition, pour juger de ces ombres, avec les prisonniers qui n'ont point quitté leurs chaînes. [Ceux-ci] ne diront-ils pas qu'étant allé là-haut, il est revenu avec la vue ruinée, de sorte que ce n'est même pas la peine d'essayer d'y monter ? ».

À son tour, la réalité de l'éveillé intellectuellement ne correspond pas avec la réalité des autres. Et pourtant, elle devrait. Il y a une dissociation des réalités à cause de la manière dont cet éveillé vit la sienne et comment les autres vivent la leur. Il semble que la seule concrétisation possible de la philosophie à l'action politique soit impossible.

Main dans la main, sortons de la caverne ensemble, citoyens. Revalorisons les humanités et la culture générale. Armons-nous intellectuellement. Il faut que les valeurs citoyennes constituent un espace public où l'intérêt de tous prédomine sur notre société d'égo. Affrontons-nous.



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