Ce n'est pas parce qu'on a le droit qu'on a raison

Par: Annie-Ève Collin

Dans un texte du Devoir, on peut lire ceci : « Je suis athée, comme des milliers d’autres au Québec. Je fais partie d’une minorité qui croit que ceux et celles qui pratiquent sérieusement une religion au point où elle régule toute leur vie souffrent d’un délire collectif. Je les tolère au nom d’une société que je veux libre et égalitaire, mais je revendique mon droit de dire le dégoût que m’inspirent des siècles d’obscurantisme religieux que ces gens s’évertuent à perpétuer. » 


Un confrère philosophe en a été choqué et a lancé une question à ses compagnons athées : il nous a demandé ce qu'aurait été notre réaction si le texte avait été écrit par un musulman et qu'il avait compris le passage suivant : « Je suis musulman, comme des milliers d'autres au Québec et partout dans le monde. Je fais partie d'une minorité qui croit que celles et ceux qui ne pratiquent aucun religion souffrent d'une sorte de maladie mentale. Je vis au Québec, donc je les tolère au nom d'une société que je veux libre et égalitaire, mais je revendique mon droit de dire tout le dégoût que m'inspirent ces sales mécréants. » Je vais donc expliquer pourquoi ce ne serait pas la même chose.

Commençons par ce qui est le plus évident : "délire collectif" et "maladie mentale", ce n'est pas équivalent. Exprimer un dégoût inspiré par l'obscurantisme n'est pas non plus la même chose qu'exprimer un dégoût inspiré par un groupe de personnes. Cependant, ce sont pratiquement des détails, parce que mon objection est plus profonde que cela : je considère bel et bien que mon confrère fait une erreur en plaçant la position de l'athée et celle du croyant (musulman ou d'une autre confession) sur le même pied, comme s'il y avait symétrie entre les deux. 

Il n'y a pas eu de siècles d'obscurantisme à cause de l'athéisme ; à cause de la religion, si. Je vous entends d'ici, ceux qui voudraient ramener l'URSS et l'Allemagne nazie, et je vous rappelle que ces États n'agissaient pas au nom de l'athéisme - qui n'est pas un système de croyances ni une idéologie, de sorte qu'on ne peut guère agir en son nom : il se borne à nier l'existence de Dieu, ce qui ne suffit pas à motiver des façons d'agir - mais bien au nom d'idéologies qui partageaient bien des défauts des religions.

Les religions théistes sont des systèmes de croyances ; autrement dit, on retrouve dans chacune d'elles une série de propositions tenues pour vraies par ceux qui y adhèrent. N'en déplaise aux partisans du NOMA, on y retrouve aussi bien des propositions de faits que des propositions de valeur. L'acronyme NOMA signifie "non overlapping magisteria", qui se traduit par non empiètement des magistères : le NOMA est la prétention que la religion et la sciences sont compatibles, qu'elles ne peuvent pas se contredire mutuellement, parce que la science n'a compétence que sur les questions de faits, alors que le domaine de la religion est le sens de la vie et les valeurs.  Le NOMA est une idée d'intellectuels enfermés dans leur tête avec leurs concepts abstraits, à des années-lumières de ce que les religions théistes sont réellement. Les religions théistes ne se bornent pas aux valeurs. "Dieu a envoyé son fils pour nous sauver." et "Mahomet a été le dernier d'une série de prophètes." ne sont en rien des propositions de valeur. 

Ainsi, les religions présentent des propositions de faits. L'avancée de la science et l'histoire ont permis de se rendre compte que beaucoup de ces de propositions n'ont guère de crédibilité : l'affirmation de l'existence de certains prophètes comme Abraham et Moïse, le mythe d'Adam et Ève, celui du Déluge, etc. On parle souvent de l'avancée de la science depuis la Renaissance, mais il est à noter qu'on n'a pas attendu la Renaissance pour se figurer certaines choses, comme par exemple qu'un enfant ne peut pas naître d'une femme qui n'a pas été fécondée par un homme : qu'un aussi grand nombre de chrétiens et de musulmans croient que Jésus avait une mère vierge, C'EST un délire collectif. Le rejet d'un système de croyance qui véhicule ce genre d'idée, par opposition, n'est pas une maladie mentale, mais une attitude rationnelle. Je ne développerai pas davantage sur les nombreuses propositions religieuses qui ont été démenties par les sciences pures et par l'histoire, d'autres l'ont fait (si vous n'en avez jamais lu, je suggère de commencer par Jerry Coyne). 

Ceux qui s'opposent à ce que l'on invoque la science pour justifier l'athéisme, en plus d'entretenir l'illusion que la science et la religion ne se prononcent pas sur les mêmes questions, invoquent souvent que la science ne peut pas apporter la preuve que Dieu n'existe pas. Je ne suis pas la première à le dire et je ne serai sans doute pas la dernière : qu'on ne puisse pas apporter de preuve empirique directe qu'une chose n'existe pas, n'est pas une raison d'admettre, pour chaque chose, qu'il est aussi raisonnable de croire qu'elle existe que de croire qu'elle n'existe pas. La question qu'on devrait se poser est la suivante : y a-t-il des indices probants (indices au sens de evidences en anglais) qui étayent l'hypothèse de l'existence d'un dieu théiste? Bien des athées, et ça semble être le cas de l'auteur du texte paru dans le Devoir, en arrivent à l'athéisme parce que la réponse à cette question est non. On croit en Dieu parce que ça nous réconforte, parce que nos parents nous ont dit qu'il existait, parce que tout le monde autour de soi y croit, parce qu'on a peur des conséquences si on n'y croit pas ; rien de cela n'est une prémisse valable pour mener à la conclusion de l'existence de quelque chose. 

D'ailleurs, admettons qu'on ne peut pas apporter la preuve qu'il n'existe pas un être omniscient nous ayant créé. Il est à noter que les religions théistes ne se bornent pas à affirmer l'existence d'un tel être. Elles ont aussi des prétentions en ce qui concerne des êtres humains auxquels elles donnent le titre de prophètes, des prétentions sur le déroulement de l'histoire, et bien autre chose. Même en admettant qu'on ne peut pas prouver que Dieu n'existe pas, ça ne suffit pas à donner de la crédibilité aux religions théistes. Adhérer à l'une de celles-ci malgré les preuves scientifiques à leur encontre n'est PAS une position équivalente sur les plans rationnel et épistémique à la position de celui qui les rejette toutes.

Passons à ce que j'appellerai l'argument du libéralisme. Cet argument consiste à partir de la prémisse suivante : on vit dans un État de droit, dans lequel chacun est libre aussi bien d'être athée que d'adhérer à n'importe quelle religion. Cette prémisse est censée appuyer la conclusion que les croyances religieuses et l'athéisme sont sur le même pied et que chacun doit respecter toutes les croyances religieuses. Il n'en est rien : ce n'est pas parce qu'on a le droit de faire quelque chose qu'on a raison de le faire. On a le droit de mettre de la mayonnaise dans ses chaussures pour la sentir nous napper les orteils pendant qu'on marche ; ça ne veut pas dire que c'est intelligent de faire ça. 

Que les diverses croyances religieuses et l'athéisme soient à égalité devant la loi n'implique aucunement qu'elles sont égales aussi sur le plan épistémique et sur le plan rationnel. On n'est pas plus obligé de respecter le catholicisme qu'on est obligé de respecter les croyances aux revenants ou à l'homéopathie. Ceux qui y croient ont le droit d'y croire ; les autres ont le droit de dire que ce sont des croyances absurdes, et même de dire que ce sont des conneries.

Pour conclure, mon confrère estime que l'obscurantisme religieux appartient au passé. Je suis en désaccord, ça existe encore, et ça existe au Québec, même si c'est dans une moindre mesure comparativement aux États-Unis, par exemple. En effet, il y a encore des parents qui endoctrinent leurs enfants dans des systèmes de croyances absurdes. Par exemple, des jeunes arrivent au cégep en étant convaincus que nous descendons d'Adam et Ève, que Moïse est un personnage historique, ou encore que l'homosexualité est un choix. Les religions théiste SONT des délires collectifs, et ceux qui y adhèrent perpétuent l'obscurantisme, notamment en les enseignant à leurs enfants. L'athée qui déplore cela n'est en rien comparable au croyant qui déplore que les autres ne croient pas aux mêmes bêtises que lui. Pas plus que le médecin qui affirme à un de ses patients qu'il n'y a pas de preuve que l'homéopathie fonctionne et qu'il devrait cesser de dépenser son argent là-dedans et d'entretenir l'espoir que ça le guérisse n'est comparable à un homéopathe qui déplore que tant de gens ne croient pas à ses traitements.



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