Le sermon transgenre

Par: Annie-Ève Collin

J'ai commencé à m'intéresser vraiment aux questions liées au genre, au transgenrisme/transsexualisme et à l'idéologie queer lorsque j'ai pris des cours de sociologie du genre à l'université. Auparavant, tout ce que je savais, c'est que certains hommes, les travestis, aimaient s'habiller en femme et se donner un nom de femme, et que certaines personnes, les transsexuel(le)s souhaitaient changer de sexe et prenaient les mesures pour modifier leur corps en conséquence. Cela ne m'émouvait pas spécialement, j'avais simplement pour position que c'était leur vie, leurs affaires. J'étais bien sûr pour que ces gens soient protégés contre la violence et contre la discrimination (je suis toujours favorable à cela, peu importe les inteprétations tordues que font certains de mes positions).

Cependant, en étant mieux informée, j'ai pu constater qu'il y a une idéologie qui accompagne cela, qui n'est pas défendue par toutes les personnes trans, ni par tous les travestis, mais qui est maintenant martelée dans les médias et dominante dans certains départements d'université, en plus d'être reprise par l'État sans questionnement ni débat dignes de ce nom. Cette idéologie partage les défauts et les erreurs des religions abrahamiques : dualisme corps/esprit, dogmatisme, moralisme imbuvable, chantage émotif, misogynie et antiféminisme, et surtout, absence de crédibilité. 

Un texte paru sur le site Internet On jase révèle fort bien le parallèle que l'on peut faire entre l'idéologie trans/queer et la religion. Je ne me suis jamais vraiment intéressée à ce site Internet, je ne peux donc pas donner d'impression générale. Je n'ai lu que trois textes qui y sont parus, dans les trois cas, parce qu'on y parlait de moi, drectement ou indirectement. Le texte que je commenterai ici parle de moi directement, mais sans me nommer : il s'agit d'un texte de Pascale Cormier, qui parle de TERFs* qui enseignent la philosophie au cégep, au même moment où cette même personne a participé à une campagne contre moi sur Facebook, notamment en raison de mes positions sur l'idéologie trans/queer, et essayé de me faire des problèmes au travail en écrivant à mes patrons. Il paraît donc assez clair que c'est de moi qu'il s'agit. Ses confrères et consoeurs ont mal pris que je réponde directement sous son billet, alors pourquoi pas répondre ici? Comme ça, j'aurai l'occasion de développer ma réponse.

Commençons par le manque de crédibilité de l'idéologie trans/queer. Comme les religions abrahamiques, cette idéologie manque de crédibilité à la fois parce qu'elle n'est pas logique et parce qu'elle repose sur des fausses prémisses. Selon Pascale Cormier, "la société est loin d’en être rendue au point de reconnaître et d’intégrer qu’il existe une infinité de genres, et que cantonner tous les humains aux seuls genres masculin et féminin est du plus haut ridicule." Il est à espérer que "la société" garde toujours suffisamment de logique pour ne pas en arriver à reconnaître une telle bêtise. 

Le genre se définit comme un ensemble de comportements socialement attribué à un sexe ou à l'autre. En étant ainsi conceptuellement lié à un sexe, un genre a besoin d'un sexe pour exister. Aussi longtemps qu'il n'existe que deux sexes, il n'existe que deux genres. N'importe quel individu, homme ou femme, peut s'approprier des comportements associés au sexe opposé, certes. Chaque homme est plus ou moins masculin ET plus ou moins féminin, en regard des normes sociales relatives aux genres, et il en va de même pour les femmes. Il existe aussi des comportements qui ne sont classés ni comme masculins ni comme féminins. Pour finir, les genres évoluent avec le temps et varient d'une culture à l'autre. Il n'en demeure pas moins que pour qu'un genre existe, il doit être socialement attribué à un sexe, il a donc besoin d'un sexe pour exister. 

À moins qu'on donne une définition du genre différente de celle qui est donnée au paragraphe précédent, une définition qui n'établirait aucun lien entre genre et sexe. En ce cas, il faudrait cependant admettre que la masculinité et la féminité, des concepts qui ont au moins un lien conceptuel et un lien socialement construit avec le sexe mâle et le sexe femelle (selon moi, ils ont aussi un lien biologique avec le sexe dans une certaine mesure, mais cela est un autre sujet), ne sont pas des genres. Si par les autres genres, on entend les divers mélanges de masculinité et de féminité que l'on peut faire, eh bien encore là, on mélange toujours les deux mêmes genres ; il y en a seulement deux.

En plus de n'avoir manifestement pas conscience de cette notion de logique, Cormier avance des énormités telles que : "De fait, tout le monde possède, à des dosages variables, des attributs mâles et femelles. Dans la vaste majorité des cas, l’identité de genre qui domine correspond au «sexe biologique» – quoique cette notion même de sexe commence à être remise en question, au fur et à mesure que les recherches progressent." En réalité, les personnes qui ont des attributs des deux sexes, qu'on qualifie d'intersexes représentent une petite minorité. Quant à la notion de sexe, elle n'est remise en question que par des militants qui font passer leur militantisme pour des sciences sociales. De plus, on remarque que Cormier parle de correspondance entre sexe et identité de genre : il faudrait savoir, y a-t-il un lien entre les deux, ou pas ? Sans compter qu'après avoir prétendu que chaque personne n'est pas soit mâle, soit femelle, mais un mélange des deux, Cormier suggère qu'on a un seul sexe biologique (cette dernière expression est un pléonasme). 

Cormier poursuit en prétendant que la dysphorie de genre est génétique, alors qu'on n'a toujours pas trouvé la cause du fait que certaines personnes soient convaincues d'être nées dans le mauvais corps. Bref, incohérence, affirmation que le sexe et le genre sont indépendants l'un de l'autre, pour ensuite réaffirmer le lien entre les deux, voire passer de l'un à l'autre comme si c'était la même chose (Cormier ne le fait pas, mais bien d'autres le font, et on retrouve cette erreur dans les textes de loi liés à l'identité de genre), affirmations fallacieuses, voilà à quoi on a affaire chaque fois qu'on porte vraiment attention au discours des militants trans et non binaires (à distinguer, encore une fois, des personnes trans, qui ne communient pas toutes à ce credo).

Le dogmatisme, le moralisme et le chantage émotif que l'on retrouve dans les discours liés à cette idéologie se retrouvent également dans le texte de Pascale Cormier. D'abord une précision : je ne doute pas une seconde de la détresse des personnes trans. Seulement, c'est la réalité qui cause la détresse de ces gens, et non les personnes qui reconnaissent la réalité. Cormier confirme d'ailleurs que les personnes trans ont un grand malaise avec la réalité dans le passage suivant : "Cette dépression est vécue à deux niveaux : dans son rapport intime à soi-même et à son corps, et dans son rapport à autrui. Comme on ne peut pas changer de corps, on doit s’en accommoder le mieux possible." Il semble donc que Cormier et moi soyons d'accord sur un point : ce qui opprime les personnes aux prises avec la dysphorie de genre, c'est la réalité, notamment la réalité de leur corps. 

Notre désaccord survient quant à la question de savoir si les autres, ceux qui ne remettent pas en question la réalité des sexes, sont aussi responsables de l'oppression des personnes trans. Ma position à cet effet peut se résumer comme suit : que des personnes n'acceptent pas leur corps n'engage pas les autres à faire semblant qu'ils sont autre chose que ce qu'ils sont. Comme société, nous n'avons pas à nier la réalité pour accommoder une minorité. Que l'État prenne des mesures pour accommoder les personnes trans, qu'il les protège contre la violence et la discrimination est très bien. Mais nommer la réalité n'est pas de la discrimination. Invoquer la souffrance, le risque de dépression et les idées suicidaires des personnes trans pour nous faire admettre la conclusion qu'on devrait faire abstraction du sexe des gens est à mes yeux du chantage émotif qui rappelle les discours de curés.

Cela est d'autant plus vrai qu'on peut constater le dogmatisme de ces discours (pas seulement celui de Cormier, qui n'en est qu'un exemple), c'est-à-dire que la remise en question est perçue comme une faute. Il faut admettre ce qu'on nous dit sans poser de question. Ce n'est ni la bible ni le coran, ni un quelconque ministre du culte qui sont présentés comme ayant la vérité qu'on n'a qu'à accepter sans poser de question, mais les personnes trans et autoproclamées non binaires et celles qui ont étudié en gender studies. Cependant, le principe est le même : acceptez et ne posez pas de question. Judith Butler, à qui je n'accorderais même pas le titre de philosophe, semble avoir celui de prophète aux yeux de nombre de militants.

Parlons maintenant du "péché de mégenrage". Cormier écrit : "Il est probablement impossible à une personne cisgenre
de comprendre toute la charge de violence assassine que comporte le fait de mégenrer une personne transgenre. Appeler « Monsieur » une femme transgenre, « Madame » un homme transgenre, ou l’un ou l’autre une personne non-binaire, c’est pire que de lui cracher au visage : c’est nier tout son être, la réduire à une pathétique imposture et lui rappeler cruellement qu’elle devra accepter toute sa vie d’être identifiée exclusivement à un corps dans lequel elle ne se reconnaît pas, à une persona qui ne lui ressemble en rien."*

Je vais déjà commettre un "péché" en rappelant qu'il n'y a pas de personne cisgenre. Pour voir le raisonnement derrière cette affirmation, je vous invite à lire cet autre billet. Ensuite, il est à noter que l'usage de mots que nous utilisons quotidiennement devrait devenir la source d'attention constante, et que si jamais on se trompe de mot, alors on est bien méchant. Par ailleurs, il y a des raisons de refuser d'appeler un mâle humain Madame, que j'ai développées dans cet autre billet. Jordan Peterson (entre autres) a également expliqué en quoi imposer aux gens un vocabulaire et une grammaire qui s'inscrivent dans une idéologie qu'ils n'endossent pas nécessairement représente une grave atteinte à la liberté d'expression. Ce chantage émotif adressé à ceux qui ne parviennent pas ou n'acceptent pas de se conformer à une novlangue militante et compliquée, Cormier n'est pas la seule personne à en faire preuve, et il a de quoi donner envie de se rebiffer plutôt que de s'ouvrir.

Cormier poursuit avec l'habituelle fausse analogie infamante (comme dirait l'autre, dans un débat d'idées, le premier à mentionner Hitler ou le nazisme a perdu) : "Dans les cercles universitaires, on pose volontiers en défenseurs de la liberté d’expression, et l’on est toujours prompt à taxer de « censure » une certaine gauche qui dénonce les dérives fascisantes d’une frange intellectuelle passéiste et réactionnaire. Néanmoins, il serait fort étonnant de voir tous ces braves défenseurs de la liberté d’expression fêter comme des héros les porte-parole du parti nazi ou du KKK, et les inviter à donner des conférences dans les universités. C’est pourtant le traitement de faveur qu’on réserve à des TERF autoproclamées, des « trans-exclusive radical feminists » dont tout le discours tourne autour du « combat » contre les femmes transgenres – à leurs yeux, des « imposteurs » qui ne cherchent qu’à « miner le mouvement féministe de l’intérieur »."

Eh bien oui, il y a une grande différence entre reconnaître que l'espèce humaine est sexuée et faire l'apologie du nazisme ou du Ku Klux Klan. Il y a aussi une grande différence entre ces idéologies/groupes haineux, et les féministes qui revendiquent qu'on se souvienne que les femmes sont nombreuses dans le monde à être victimes de violence conjugale, mariages forcées, prostitution forcée, mutilations, trafic humain, commerce de mères porteuses, etc., non pas en raison de leur "identité de genre" (expression frauduleuse imposée par certains militants, désormais consacrée par la loi canadienne alors qu'elle ne réfère à rien d'objectif), mais bien en raison de leur SEXE. C'est pour cette raison que j'affirme que l'idéologie trans et l'idéologie queer sont antiféministes : au nom de ces idéologies, on blâme les femmes qui veulent que les droits et les intérêts des personnes de leur sexe soient défendus et reconnus. D'ailleurs, Cormier ajoute à sa fausse analogie un homme de paille : les féministes critiques du genre ne disent pas que les "femmes transgenre" cherchent à miner le mouvement féministe de l'intérieur. Elles demandent à ce que les groupes féministes continuent de défendre la cause qui est la leur : les droits et les intérêts des femmes.

Je maintiens qu'on peut aller jusqu'à parler de misogynie : "Faut-il qu’on nous méprise pour trouver légitime que des femmes – et quelques hommes avec elles – s’acharnent avec tant de hargne et de haine sur une minorité vulnérable, qui ne demande qu’à vivre dignement et au grand jour sans déranger personne!" écrit Cormier. Je serais curieuse de savoir, parmi ceux qui agressent des personnes trans, quelle proportion sont des femmes (des femmes, pas des "femmes trans", que je préfère appeler trans m@f). Je ne serais pas du tout étonnée que bien peu de féministes critiques du genre, et en fait bien peu de femmes en fassent partie. (Inversement, il arrive que des féministes critiques du genre soient agressées physiquement par des trans m@f, et que des militants LGBTQ s'en réjouissent sur les réseaux sociaux ; j'attends qu'on me montre des féministes critiques du genre qui se réjouissent qu'une personne trans ait été agressée). Mais c'est toujours plus facile de s'en prendre aux femmes qui luttent pour leur dignité, pour leurs droits, pour la reconnaissance de leurs intérêts, que de s'en prendre à des hommes violents. La religion abrahamique a jeté le blâme sur Ève, la religion transgenre jette le blâme sur les femmes.

Passons à la dualité corps/esprit : le texte de Pascale Cormier insiste beaucoup sur le corps des personnes trans et non binaires, ce corps qui ne les représenterait pas, au point de ne pas être leur corps. Mais qu'est-ce qu'un être humain, autre qu'un corps ? L'esprit, c'est tout simplement le cerveau. Le cerveau fait partie du corps. Quelle serait cette réalité qui représenterait le véritable soi de quelqu'un? On semble supposer qu'il existe une sorte d'âme, d'esprit indépendant du corps, et que l'âme de la personne transgenre ou autoproclamée non binaire serait prise dans un corps qui ne convient pas.

Comme bien d'autres, Cormier parle à répétition du "genre auquel la personne s'identifie". Il serait question de "respecter l'identité de chaque citoyen.ne.e dans ce pays". Dans un contexte administratif, on ne demande pas aux gens comment ils s'identifient, ce qui est subjectif, on demande des informations objectives. J'ai fait une demande de passeport récemment, on a voulu savoir quel âge j'avais. On ne veut pas savoir si je m'identifie comme jeune, vieille, ni l'un ni l'autre, si je m'identifie comme adulte, enfant, adolescente, on ne veut pas savoir si je m'identifie comme ayant 15 ans, 30 ans ou 200 ans. On me demande l'âge que j'ai. C'est pareil pour la mention de sexe. Il n'y a pas de mal à ce que quelqu'un ne considère pas son sexe comme un élément essentiel de son identité, quelqu'un peut bien être gêné de son sexe (c'est bien triste pour lui d'ailleurs), mais quand on demande le sexe de quelqu'un, on ne lui demande pas de parler de son identité subjective, on lui demande une information. Les fonctionnaires ne devraient pas avoir à se soucier de ce à quoi les gens s'identifient.

Pour finir, le caractère pour ainsi dire religieux de l'idéologie transgenre ressort particulièrement bien du passage suivant du texte de Cormier : "L’existence des personnes transgenres n’a pourtant rien de nouveau, et d’autres civilisations, spirituellement et intellectuellement plus avancées que la nôtre, les ont parfaitement intégrées en leur temps. Les anciens Grecs, chez qui l’homosexualité, comme on le sait, était largement pratiquée et admise, avaient fait de l’Hermaphrodite une sorte d’idéal, un être pleinement accompli du fait qu’il possédait à la fois des attributs mâles et femelles. Chez les Premières Nations d’Amérique du Nord, la sexualité était très libre, et les êtres bispirituels étaient non    seulement intégrés mais valorisés, occupant souvent des fonctions importantes comme chamans, guérisseurs ou éducateurs."

Cela se passe de commentaires : croyances religieuses des Premières nations (les bispirituels étaient considérés comme ayant une âme mâle et une âme femelle, alors que c'est le corps qui est mâle ou femelle, et que l'âme n'a d'existence que dans les mythes), mythe de l'hermaphrodite en Grèce antique. On voudrait nous faire admettre que cela est plus avancé intellectuellement que la biologie contemporaine ! Parce qu'en effet : la division de l'espèce humaine, comme de toutes les espèces de mammifères, en deux sexes, contrairement aux prétentions de Cormier (et de bien d'autres militants LGBTQ-alouette) n'est pas une idée chrétienne, mais un fait établi scientifiquement. Je suppose qu'il vaut mieux en rire qu'en pleurer. Bref, l'idéologie trans, et avec elle l'idéologie queer, sont à ranger avec les religions: elles n'ont pas à être censurées, chacun est libre d'y adhérer, mais on ne peut pas les imposer à tout le monde.


* voir http://www.discernement.net/details/86 si vous ne comprenez pas l'expression TERF, pour vérifier le sens des expressions femme transgenre et homme transgenre



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