Inclusion sans discernement : la voie vers l'insignifiance

Par: Annie-Ève Collin

J’ai toujours été opposée au sigle LGBT, même quand il s’arrêtait à T, pour une raison toute simple : les trois premières lettres réfèrent à des gens qui ont une orientation sexuelle autre qu’hétérosexuelle. La dernière réfère à tout autre chose. S’habiller en femme alors qu’on est un homme (dans le cas des travestis et des drag queens) et souhaiter devenir une femme alors qu’on est un homme ou l’inverse (dans le cas des transsexuels), tout cela se distingue de l’orientation sexuelle. Il est important de distinguer les choses.

 

Cette opposition de ma part à ce sigle date d’il y a longtemps, bien avant que le transgenrisme soit constamment banalisé dans les médias. Bien avant qu’il soit commun d’entendre parler dans les médias de personnes non binaires. Bien avant que des militants décrètent qu’on est femme ou homme par son identité de genre et non par son sexe (du moins bien avant qu’ils réussissent à imposer leurs décrets jusque dans les institutions, malgré que ceux-ci soient sans fondement dans la réalité, ni même raisonnement logique pour les soutenir). Bien avant que le simple fait de considérer qu’on est femme ou homme par son sexe nous vaille des accusations de transphobie.

 

Aujourd’hui, il y a tellement de lettres ajoutées au sigle que la majorité des gens ne sait plus l’écrire au complet. Il est commun d’arrêter à LGBTQ. Il est à noter que le Q réfère à queer, et que ça vient déjà ajouter quelque chose qui n’a à voir ni avec les trois premières lettres ni avec la quatrième. En fait, le mouvement queer vient même contredire les concepts représentés par les quatre premières lettres : ce mouvement rejette les catégories de sexe et de genre, alors qu’aussi bien les homosexuels et bisexuels que les trans ont besoin de ces catégories pour que leur propre catégorie ait un sens. Pour être objectivement homosexuel, hétérosexuel ou bisexuel, il doit objectivement y avoir deux sexes. Autrement, il n’y aurait que des êtres humains attirés par d’autres êtres humains, et aucune distinction d’orientation sexuelle. Trans est une préposition latine qui évoque une traversée. On ne peut pas traverser d’un sexe à l’autre ou d’un genre à l’autre s’il n’y a objectivement ni sexe ni genre. Même en admettant que le genre est un continuum, se déplacer sur un continuum n’est pas la même chose qu’une traversée : pour traverser, il faut qu’il y ait deux côtés.

 

En plus de m’opposer à ce sigle parce qu’il amalgame des réalités différentes les unes des autres, je m’y oppose également pour une autre raison (non sans lien avec la première), une raison qui me fait aussi m’opposer au féminisme intersectionnel. Quand on veut défendre plusieurs causes à la fois, en s'imaginant qu'il s'agit de la même cause, il est pratiquement inévitable que certaines d’entre elles finiront par prendre le dessus au détriment des autres. En ce qui concerne le militantisme LGBTQ-alouette aussi bien que le féminisme intersectionnel, c’est au point où la cause qu’ils ont abandonnée est précisément celle qu’ils devaient défendre au départ.

 

Quand il est question des droits des LGBTQ dans les quotidiens, depuis un certain temps, c’est essentiellement des personnes trans et des personnes autoproclamées non binaires qu’on entend parler. Le combat contre l’homophobie serait-il derrière nous ? Certes, d’énormes progrès ont été faits : les couples de même sexe peuvent se marier dans de nombreux pays. Il y a des milieux où être homosexuel n’est pas vu comme une honte, où bien au contraire, c’est être homophobe qui fait risquer l’opprobre. Mais ce n’est pas encore le cas partout. Le militantisme LGBTQ-alouette, qui était au départ le militantisme LGB, semble avoir pour ainsi dire oublié les lesbiennes, les gais et les bisexuel(le)s...souvenez-vous d’ailleurs du manque de sensibilité face à Jasmin Roy qui se disait mal à l’aise avec le mot queer, celui-ci étant au départ une insulte homophobe. Comment peut-on blâmer un homme qui a été victime d’intimidation parce qu’il était homosexuel, et qui a œuvré toute sa vie pour combattre l’intimidation des jeunes homosexuels, d’être mal à l’aise face à un tel mot ?

 

Et que dire du féminisme ? Le féminisme intersectionnel, malheureusement dominant aussi bien dans les départements militants d’université que dans les médias et dans la Fédération des femmes du Québec (qui se distingue d’autres associations féministes par le fait de recevoir des subventions payées avec l’argent de nos impôts, ce qui est non négligeable), a voulu défendre plusieurs causes à la fois. C’est au point où la FFQ, à travers deux de ses principaux porte-parole, Marlihan Lopez et Gabrielle Bouchard, a récemment affirmé explicitement vouloir donner la priorité aux « femmes aux marges », comme si être femme ne suffisait pas pour risquer d’être victime de sexisme.

 

En prétendant inclure la défense des femmes dites racisées, la FFQ a à ce point intégré le multiculturalisme (en confondant ce dernier avec l’antiracisme) qu’elle en est venue à défendre le voile et à blâmer ceux qui dénoncent celui-ci, ainsi que les autres pratiques sexistes liées à des religions. Le conflit entre multiculturalisme et égalité des sexes a été amplement documenté par le passé et il continue de l’être ; le féminisme intersectionnel relègue tout ça aux oubliettes, avec pour tout argument que ça relève du « féminisme blanc ».

 

En identifiant les personnes trans et autoproclamées non binaires comme des opprimées et les « cisgenre » (c’est-à-dire, selon la seule définition à laquelle on peut arriver si on raisonne logiquement, les personnes qui ne nient pas leur sexe) comme des privilégiées (comme si accepter la réalité était un privilège), elle est devenue aveugle au fait que certaines revendications d’une partie des personnes trans et autoproclamées non binaires peuvent entrer en conflit avec certains droits des femmes, avec certains acquis des femmes obtenus de haute lutte grâce aux féministes des générations passées. Pour cela aussi, elle va jusqu’à blâmer les femmes qui s’opposent à perdre leurs acquis et à ce que leurs droits passent au second plan, en les traitant de TERFs. Le féminisme, du moins celui qui occupe le plus d’espace, a pour ainsi dire oublié l’égalité des sexes.

 

Peut-être tout cela est-il plutôt le résultat d’un manque de profondeur intellectuelle de la part des militants LGBTQ et féministes qui parlent le plus fort. Je suis cependant convaincue que c’est au moins en partie parce que ceux qui veulent s’occuper de plusieurs causes à la fois finissent inévitablement par donner la priorité à certaines causes, et par en délaisser d’autres. 



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