J’ai toujours été opposée au sigle LGBT, même quand il s’arrêtait
à T, pour une raison toute simple : les trois premières lettres réfèrent à
des gens qui ont une orientation sexuelle autre qu’hétérosexuelle. La dernière
réfère à tout autre chose. S’habiller en femme alors qu’on est un homme (dans
le cas des travestis et des drag queens)
et souhaiter devenir une femme alors qu’on est un homme ou l’inverse (dans le
cas des transsexuels), tout cela se distingue de l’orientation sexuelle. Il est
important de distinguer les choses.
Cette opposition de ma part à ce sigle date d’il y a
longtemps, bien avant que le transgenrisme soit constamment banalisé dans les
médias. Bien avant qu’il soit commun d’entendre parler dans les médias de
personnes non binaires. Bien avant que des militants décrètent qu’on est femme
ou homme par son identité de genre et non par son sexe (du moins bien avant qu’ils
réussissent à imposer leurs décrets jusque dans les institutions, malgré que
ceux-ci soient sans fondement dans la réalité, ni même raisonnement logique
pour les soutenir). Bien avant que le simple fait de considérer qu’on est femme
ou homme par son sexe nous vaille des accusations de transphobie.
Aujourd’hui, il y a tellement de lettres ajoutées au sigle
que la majorité des gens ne sait plus l’écrire au complet. Il est commun d’arrêter
à LGBTQ. Il est à noter que le Q réfère à queer,
et que ça vient déjà ajouter quelque chose qui n’a à voir ni avec les trois
premières lettres ni avec la quatrième. En fait, le mouvement queer vient même contredire les concepts représentés par les quatre premières lettres : ce mouvement rejette les catégories de sexe et de genre, alors qu’aussi
bien les homosexuels et bisexuels que les trans ont besoin de ces catégories
pour que leur propre catégorie ait un sens. Pour être objectivement homosexuel,
hétérosexuel ou bisexuel, il doit objectivement y avoir deux sexes. Autrement,
il n’y aurait que des êtres humains attirés par d’autres êtres humains, et
aucune distinction d’orientation sexuelle. Trans est une préposition latine qui
évoque une traversée. On ne peut pas traverser d’un sexe à l’autre ou d’un
genre à l’autre s’il n’y a objectivement ni sexe ni genre. Même en admettant
que le genre est un continuum, se déplacer sur un continuum n’est pas la même
chose qu’une traversée : pour traverser, il faut qu’il y ait deux côtés.
En plus de m’opposer à ce sigle parce qu’il amalgame des
réalités différentes les unes des autres, je m’y oppose également pour une autre raison (non sans lien avec la première), une raison qui me fait aussi m’opposer au féminisme intersectionnel. Quand on veut
défendre plusieurs causes à la fois, en s'imaginant qu'il s'agit de la même cause, il est pratiquement inévitable que
certaines d’entre elles finiront par prendre le dessus au détriment des autres.
En ce qui concerne le militantisme LGBTQ-alouette aussi bien que le féminisme
intersectionnel, c’est au point où la cause qu’ils ont abandonnée est
précisément celle qu’ils devaient défendre au départ.
Quand il est question des droits des LGBTQ dans les
quotidiens, depuis un certain temps, c’est essentiellement des personnes trans
et des personnes autoproclamées non binaires qu’on entend parler. Le combat
contre l’homophobie serait-il derrière nous ? Certes, d’énormes progrès ont été
faits : les couples de même sexe peuvent se marier dans de nombreux pays.
Il y a des milieux où être homosexuel n’est pas vu comme une honte, où bien au
contraire, c’est être homophobe qui fait risquer l’opprobre. Mais ce n’est pas
encore le cas partout. Le militantisme LGBTQ-alouette, qui était au départ le
militantisme LGB, semble avoir pour ainsi dire oublié les lesbiennes, les gais
et les bisexuel(le)s...souvenez-vous d’ailleurs du manque de sensibilité face à
Jasmin Roy qui se disait mal à l’aise avec le mot queer, celui-ci étant au départ une insulte homophobe. Comment
peut-on blâmer un homme qui a été victime d’intimidation parce qu’il était
homosexuel, et qui a œuvré toute sa vie pour combattre l’intimidation des
jeunes homosexuels, d’être mal à l’aise face à un tel mot ?
Et que dire du féminisme ? Le féminisme intersectionnel,
malheureusement dominant aussi bien dans les départements militants d’université
que dans les médias et dans la Fédération des femmes du Québec (qui se
distingue d’autres associations féministes par le fait de recevoir des
subventions payées avec l’argent de nos impôts, ce qui est non négligeable), a
voulu défendre plusieurs causes à la fois. C’est au point où la FFQ, à travers
deux de ses principaux porte-parole, Marlihan Lopez et Gabrielle Bouchard, a
récemment affirmé explicitement vouloir donner la priorité aux « femmes
aux marges », comme si être femme ne suffisait pas pour risquer d’être
victime de sexisme.
En prétendant inclure la défense des femmes dites racisées, la FFQ a à ce point intégré le multiculturalisme (en
confondant ce dernier avec l’antiracisme) qu’elle en est venue à défendre le
voile et à blâmer ceux qui dénoncent celui-ci, ainsi que les autres pratiques
sexistes liées à des religions. Le conflit entre multiculturalisme et égalité
des sexes a été amplement documenté par le passé et il continue de l’être ; le
féminisme intersectionnel relègue tout ça aux oubliettes, avec pour tout
argument que ça relève du « féminisme blanc ».
En identifiant les personnes trans et autoproclamées non
binaires comme des opprimées et les « cisgenre » (c’est-à-dire, selon
la seule définition à laquelle on peut arriver si on raisonne logiquement, les
personnes qui ne nient pas leur sexe) comme des privilégiées (comme si accepter
la réalité était un privilège), elle est devenue aveugle au fait que certaines
revendications d’une partie des personnes trans et autoproclamées non binaires
peuvent entrer en conflit avec certains droits des femmes, avec certains acquis
des femmes obtenus de haute lutte grâce aux féministes des générations passées.
Pour cela aussi, elle va jusqu’à blâmer les femmes qui s’opposent à perdre
leurs acquis et à ce que leurs droits passent au second plan, en les traitant
de TERFs. Le féminisme, du moins celui qui occupe le plus d’espace, a pour
ainsi dire oublié l’égalité des sexes.
Peut-être tout cela est-il plutôt le résultat d’un manque de
profondeur intellectuelle de la part des militants LGBTQ et féministes qui
parlent le plus fort. Je suis cependant convaincue que c’est au moins en partie
parce que ceux qui veulent s’occuper de plusieurs causes à la fois finissent
inévitablement par donner la priorité à certaines causes, et par en délaisser d’autres.