Marie-Ève Tremblay a produit un court documentaire
qui a fait mouche, sur la volonté de censure, notamment en milieu universitaire.
Qu’en est-il des cégeps ? Sans qu’il y ait eu de travaux rigoureux pour
vérifier à quel point ils sont nombreux et quelles stratégies ils ont déjà
mises en œuvre, on peut à tout le moins constater une volonté, chez certains
militants, de décider qui devrait avoir le droit d’enseigner au cégep. Ils
semblent porter leurs jugements en se basant sur du ouï-dire, sur les positions
que prend l’enseignant, et sur les sentiments qu’ils SUPPOSENT que des élèves
peuvent avoir face à certains auteurs, à certains discours.
Le Devoir a fait
paraître ce matin un
article sur le collège Maisonneuve, nous apprenant que certains enseignants
préfèrent s’autocensurer pour éviter des problèmes. On manque d’information sur
le nombre d’enseignants concernés, sur ce qu’ils évitent de dire ou de faire
lire aux élèves, précisément. Cependant, il y a lieu de s’en inquiéter : c’est
certainement le symptôme de quelque chose et à supposer que ce soit encore
marginal, eh bien il faut s’assurer que ça le demeure !
D’une part, la liberté d’expression est un droit fondamental
qu’il faut considérer comme non négociable. D’autre part, le milieu académique
n’a pas pour fonction d’amener les jeunes à se complaire dans leurs croyances
et dans leur identité personnelle, mais bien de les amener à apprendre, à
réfléchir, à accepter d’être confronté à des points de vue différents, afin d’évoluer.
L’école, c’est comme le sport : pour que ce soit efficace, il faut sortir
de sa zone de confort ! Il ne faut pas oublier non plus que nous ne parlons pas
d’enfants qui commencent à apprendre à lire et à calculer, mais de jeunes adultes
qui en sont à leurs études supérieures.
Je peux affirmer que des enseignants au cégep sont victimes
d’intimidation, de campagnes de propagande sur les réseaux sociaux. On ne se
gêne pas pour mentir pour salir leur réputation, tout en exprimant le souhait
qu’ils perdent leur poste. Comment je peux affirmer cela ? Parce que je fais
partie des enseignants visés depuis au moins un an et demi, et que je connais d’autres
enseignants qui sont dans la même situation. Dans mon cas, quelqu’un est allé
jusqu’à appeler la personne responsable de la coordination de mon département
en prétendant être la mère d’un élève et en inventant une histoire comme quoi j’intimiderais
plusieurs élèves dont son fils (heureusement, la coordonnatrice n’a pas été
dupe). Il est à noter que ces campagnes sont généralement orchestrées par des
personnes qui ne côtoient pas les principaux intéressés et qui ne se donnent
pas la peine de s’informer sur le contenu de leurs cours ni sur leur rapport
avec leurs élèves, collègues et patrons, ni sur leurs compétences. Leur souhait
semble être de «nettoyer» les cégeps de tous les enseignants qui ne sont pas au
diapason de leurs orientations idéologiques.
Bien sûr qu’il y a des auteurs ou des discours qui peuvent
choquer des élèves. Quand j’ai suivi mes cours de philosophie au cégep, les
idées de Freud sur les femmes me faisaient bouillir. J’ai quand même fait mon
examen sur le sujet, et je ne suis pas restée traumatisée ! La même chose dans
mes cours de littérature au cégep : certains auteurs ou livres laissaient
voir un sexisme, voire une misogynie qui levait le cœur de la militante
féministe que je suis, selon mes parents, depuis que j’ai appris à parler. Les
lire a quand même enrichi ma culture générale. Je suis certaine que d’autres
pourraient donner des exemples semblables. Aussi longtemps qu’on garde un
esprit critique, ce qu’on est tout à fait capable de faire à 17 ans et plus, il
est sain que les élèves de cégep soient confrontés à une diversité de discours,
y compris des discours qui les bousculent dans leurs croyances.
Mon expérience comme enseignante m’apprend qu’un certain
nombre d’élèves religieux, qui sont convaincus de descendre d’Adam et Ève, sont
très mal à l’aise quand on parle en classe de la théorie de l’évolution, ou
lorsqu’on invoque la primatologie pour faire ressortir nos ressemblances avec
les singes. Les références aux relations homosexuelles que l’on peut voir dans
certains dialogues de Platon en font bondir quelques uns aussi. Je n’enseigne
pas Nietzsche, mais j’ai des collègues qui le font et qui remarquent que ses
écrits choquent des élèves. Des enseignants qui sont dans d’autres domaines
pourraient certainement donner d’autres exemples. Devrions-nous bannir des
auteurs qui ont marqué la culture occidentale, ou encore éviter d’enseigner des
faits scientifiques, pour ne pas risquer de heurter des élèves ? D’abord, les
cégépiens ne sont pas si fragiles que certains semblent croire. Mais surtout,
non seulement la censure en milieu académique serait un retour en arrière, une
grave régression, mais ce serait aussi contraire à l’objectif même des études.