Texte écrit avec François Doyon
Il y a quelques jours, nous avons publié un compte rendu dans lequel nous relevions et commentions les points qui avaient le plus retenu notre attention dans la conférence sur l’islamophobie donnée par Haroun Bouazzi et Eve Torres le 25 janvier 2018, dans une salle de l’UQAM. Nous avons notamment remarqué l’usage de la nouvelle conception à la fois erronée et dangereuse du racisme comme opposition à l'islam, conception dangereuse parce qu’en assimilant la critique, même virulente, même irrévérencieuse, de doctrines, au racisme, on menace la liberté d’expression. Nous avons également remarqué l’usage fallacieux et répété du mot « foulard » pour désigner le voile islamiste. Nous avons rappelé que le droit d’exprimer ses croyances et convictions, notamment par l’habillement, n’inclut pas le droit de s’attendre à ce que les autres fassent semblant de rien lorsque nos croyances et convictions les heurtent. Il y a cependant un point que nous n’avons pas mentionné dans ce premier billet (déjà passablement long), un point qui mérite un billet à lui tout seul : Bouazzi et Torres ont beau se prétendre tous les deux féministes, il y a de bonnes raisons d’en douter. D’ailleurs, dans la mesure où ils endossent le féminisme intersectionnel et que celui-ci est un pseudo-féminisme, ce n’est pas vraiment surprenant. De plus, rappelons à nouveau la présence d’Eve Torres à un dîner faisant la promotion d’une DPJ pour musulmans. Il était même explicitement établi que le souci principal était de garder les jeunes filles musulmanes dans les traditions. On peut toujours douter très fort que maintenir les jeunes filles dans les traditions religieuses soit particulièrement féministe…
Bouazzi a mentionné les tensions qui peuvent exister entre la lutte
contre le racisme et la lutte contre le sexisme. Pour le paraphraser, si, par
exemple, une femme noire est battue par son mari noir, et qu’elle le dénonce,
ce fait risque d’être récupéré par les racistes anti-Noirs, qui y verront
l’occasion de dire que cela confirme que les Noirs sont violents. Selon lui,
historiquement, les Noires ont dû faire "un choix difficile" entre le combat
contre le racisme et celui contre le sexisme, et c’est le combat contre le racisme
qui a été privilégié. On
peut bien sûr se demander à quel point ce résumé d'une partie de l'histoire des Noirs est conforme à la réalité, mais la question que nous nous posons surtout, c’est ce qu’on est
censé en tirer comme message. Ajoutons qu’il est commun chez les féministes
(sic) intersectionnelles[1]
de blâmer les femmes qui s’expriment contre le voile islamiste en tant que
pratique sexiste, en les accusant d’instrumentaliser le féminisme pour tenir
des propos racistes. La vérité ne serait-elle pas plutôt que, devant le risque
de xénophobie contre les personnes de culture musulmane ou de racisme contre
les Arabes, on demande aux femmes de la mettre en veilleuse en ce qui concerne
leur dignité, leurs intérêts et leurs droits? N'est-ce pas aussi parce que la société accorde un traitement préférentiel àa la religion qu'on décide de défendre l'islam au détriment des droits des femmes? Devons-nous
comprendre qu’il y a une hiérarchie des discriminations, et que les femmes
n’ont pas seulement historiquement passé après les autres groupes, mais
qu’elles DOIVENT passer en dernier? Souvenons-nous aussi du silence radio des
féministes (sic) intersectionnelles au sujet des agressions à Cologne, avant
une justification pour le moins boiteuse : « nous ne voulons pas que
les droits des femmes servent à cautionner le racisme » (en l’occurrence,
c’est plutôt la peur d’attiser le racisme qui sert à cautionner des violences
graves envers les femmes).
Ainsi, dans les propos de Bouazzi, nous avons constaté ce qu’Annie-Ève Collin reproche déjà depuis
longtemps au féminisme (sic) intersectionnel (enfin, disons que c’est l’un des
reproches qu’elle fait à ce pseudo-féminisme) : quand on prétend lutter
contre toutes les discriminations à la fois, on en vient malgré tout à hiérarchiser
les discriminations, à accorder plus d’importance à certaines qu’à d’autres.
N’importe quelle association ayant pour objectif de promouvoir des changements
sociaux, les revendications d’un groupe d’êtres humains, se concentre forcément
sur certaines luttes en particulier. Le problème avec les féministes (sic)
intersectionnelles, c’est qu’elles nient qu’elles le font, ou peut-être ne s’en
rendent-elles même pas compte.
Mais que les intersectionnelles en soient conscientes ou non, le
problème demeure : ce pseudo-féminisme nuit aux femmes. Pas aux femmes
blanches. Pas aux féministes de deuxième vague. Non, il nuit à toutes les
femmes, en blâmant celles qui revendiquent la prise en compte de leurs intérêts
et de leurs droits, en allant même jusqu’à préférer s’abstenir de dénoncer des
discriminations, et même des violences envers les femmes, sous prétexte de ne
pas cautionner d’autres formes de discrimination.
Bouazzi et Torrès
essaient de nous faire croire qu’ils luttent contre la discrimination. En réalité,
ils ne défendent pas la liberté de religion, mais bel et bien l’islam. Ils se
précipitent au secours de cette religion, y compris dans ses pratiques les
moins progressistes. Leur féminisme n’est qu’une façade. Les femmes de culture
musulmane qui veulent favoriser l’émancipation de leurs consoeurs, comme
Djemila Benhabib et Nadia El-Mabrouk, se font traiter d'islamophobes en suivant
des discours comme ceux de Haroun Bouazzi et d’Eve Torres. Savent-ils à quel
point leur militantisme nuit aux femmes ?
[1]
L’usage du féminin sert à alléger le texte, les hommes qui adhèrent au
féminisme (sic) intersectionnel sont également inclus.